N°11 / Révoltes

Introduction

Marianne Celka, Matthijs Gardenier, Eric Gondard, Bertrand Vidal

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Par Marianne Celka, Matthijs Gardenier, Éric Gondard et Bertrand Vidal, coordinateurs éditoriaux de Rusca.

Étymologiquement, de l’italien rivoltare, se révolter signifie « se détourner », par exemple d’une religion, mais aussi se dresser contre l’autorité établie ou contre l’ordre institué. Plus largement, l’idée de révolte renvoie à l’indignation, à la révulsion, au scandale et initie la rébellion et potentiellement la révolution.

Les menaces, réelles ou fantasmées, qui taraudent nos imaginaires sociaux et motivent pour ainsi dire des agents prêts à se révolter contre l’ordre des choses, sont aussi diverses que nombreuses. La crainte d’un régime totalitaire s’insinuant dans nos vie quotidiennes, la crainte d’une domination par la technique, que ce soit par l’entremise de système de contrôle généralisé ou bien par le développement d’intelligences artificielles au service de la surveillance et d’une société disciplinaire, la crainte des effondrements écosystémiques ou de nos moyens de subsistance dans un marché dérégularisé, en bref, le sentiment d’être pris dans le piège d’une organisation sociale qui nous dépasse et nous abîme concourt à différentes formes de soulèvement.

Contre quel ordre du monde les rébellions actuelles – qu’elles soient politiques ou transpolitiques, identitaires ou libertaires, festives ou agressives – se dressent-elles, contre quelles autorités établies font-elles volte-face ? De quoi se détournent-elles et quels sont les objets du scandale ? L’ambiance sociale contemporaine semble profondément marquée non seulement par l’affaiblissement du clivage politique gauche/droite mais aussi par la crise de la représentativité, du régime de vérité et de l’adhésion à ce que Max Weber appelait le « monopole de la violence légitime ».

Si le mouvement des Gilets Jaunes partage une bonne partie de ses revendications avec des idéaux politiques considérés « à gauche », il ne s’inscrit de manière déterminé dans aucun courant politique, ni aucune catégorie préexistante des mouvements sociaux et témoigne à sa manière de la « liquidité » des contestations telle que l’avait définie Zygmunt Bauman. L’effritement des cadres solides, qui jadis structuraient les luttes sociales, permet à des publics très différenciés sociologiquement et politiquement de se retrouver autour de protestations et d’exigences communes, autour de rituels et de symboles qui font sens. 

C’est peut-être le signe que l’Organisation des Mouvements Sociaux (SMO), s’appuie sur d’autres ressorts, plus « horizontaux » et transpolitiques. La mobilisation des ressources et l’usage quasi systématique des réseaux sociaux médiatiques – non sans risque de charrier passions, théories du complot et fake news – sont des indices qui montrent une nouvelle dynamique alliant révolte et réticularité. Le renouveau des catégories auquel nous assistons pose de manière plus globale la reconfiguration du politique et la mise en place potentielle de contextes post-démocratiques.

Comme le philosophe Miguel Benasayag l’écrivait déjà en 2008 : « Parions que l’on se souviendra de l’article de Jean-Paul Sartre qui disait en substance : "Nous avons toujours raison de nous révolter". [...] s’il y a bien deux concepts qui ne vont plus du tout ensemble, de nos jours, ce sont ceux de raison et de révolte ». Aussi, poursuivait-il « Comment concevoir et penser la révolte dans et pour notre époque ? ». En somme, la révolte est-elle toujours légitime et souhaitable ? Est-elle encore porteuse d’espoir pour des lendemains qui chantent ou serait-elle en réalité le point incandescent d’une crise plus profonde et systémique, la crise de nos démocraties contemporaines ? C’est à ces interrogations que ce numéro de Rusca propose quelques pistes de réflexions. Selon des points de vue historique, économique, politique et sociologique, les auteurs se sont ici livrés à la compréhension de ces sursauts sociaux qui taraudent notre époque.

Depuis le politique « à l’heure de sa reproductibilité numérique » (V. Susca), de la « canaille révoltiste » (Ch. David), du régime de vérité (B. Lalbat) jusqu’à la menace du spectre des robots (N. Wadbled) en passant par la critique de Vivre sans (de F. Lordon par B. Bohy-Bunel), le numéro de Rusca dédié aux révoltes embrasse des points de vue hétéroclites qui tentent d’être à la hauteur d’un quotidien complexe et agité. 

Le numéro propose également à la lecture deux marges : l’une de Carlotta Susca – au sujet du paradoxe du loop causal et du voyage dans le temps –, l’autre d'Eduardo Bianchi – au sujet de Grindr ; ainsi qu’une recension de l’ouvrage de Pieter Wilde, Ruud Koopmans, Wolfgang Merkel, Oliver Strijbis et Michael Zürn, The Struggle Over Borders: Cosmopolitanism and Communitarianism, par Matthijs Gardenier.

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Le politique à l’époque de sa reproductibilité numérique. Distraction, destruction et effets pervers

Vincenzo Susca

L’Occident, ses élites et sa démocratie sont en crise depuis longtemps. Dans ce cadre, les rapports entre civilisation et étranger, citoyen et non-citoyen, spectateur et œuvre sont renversés par rapport au temps qui fut. À bien des égards, les principes qui animent les cybercultures dans ce qu’elles ont de plus souterrain, sombre et subversif agissent dans les interstices où la civilisation n’a plus de marge de manœuvre, là où elle a épuisé sa force en montrant son point de saturation.

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