Benjamin Paon, Docteur en sociologie de l’université Paul-Valéry Montpellier 3, LEIRIS
L’IMPACT DES ACTIVITÉS ARTISTIQUES DU HIP HOP
Le Hip-hop regroupe les arts de la rue se rassemblant autour de trois pôles. Sur le plan musical, le rap se développe par zone d’influence géographique puis comme tendance musicale signée par les majors ou compagnies du disque[3] et intégrée dans l’industrie culturelle avec une section aux victoires de la musique française. Cette cérémonie audiovisuelle, fondée par le Ministère de la Culture sous Jack Lang en 1985, donne l’occasion chaque année de décerner des récompenses aux artistes du monde de la musique de variétés.
À l'échelle corporelle, la danse Hip-hop devient un nouveau courant contemporain avec la montée des premières compagnies professionnelles sur la scène des théâtres.
« Le conflit oppose les « anciens », perçus par les amateurs de battles comme old school, et qui se définissant eux-mêmes comme des pionniers « aux nouveaux » (les jeunes). Cette dialectique se fonde pour les premiers sur quelques principes du légitimisme culturel, et pour les seconds sur la technique et la performance. Ainsi, pour les chorégraphes, comme pour les acteurs institutionnels, le travail de création (composition chorégraphique) est extrêmement valorisé et renvoie à une mise en forme « élaborée » des techniques de danse, tandis que la compétition et la breakdance, qui constituent les techniques en jeu dans les battles, sont à peu de choses près renvoyées à l'expérience pratique spontanée, tape à l’œil »[4].
Et au niveau pictural, les graffeurs ou taggers s’exposent en galerie tout en continuant les sessions illégales sur le terrain. Le graff préserve en cela un côté « sauvage » à coté du travail en atelier. Comme dans tous les courants culturels récents, ses pionniers sont encore vivants mais méconnus des nouvelles générations.
« Le conflit générationnel ne s'ancre pas seulement dans la différence d'expérience tracée par le décalage d'âge et d'époque, mais bien dans une différenciation sociale et de rapport à la culture légitime entre plusieurs types de « jeunesses populaires », manifestant un paradoxe entre une fidélité au groupe, au quartier, aux origines et l'adoption des principes véhiculés par la socialisation institutionnelle »[5].
Certains désaccords se font ressentir notamment au sujet de la paternité de certaines techniques ou bien de l’origine géographique de certains styles. Dans l'évolution constante de la société entre crises sociales, guerres et terrorisme, la jeunesse s’invente d’autres repères, une nouvelle philosophie. L'approche de la citoyenneté dans le monde contemporain développe la conception d'une diversité du terme pour une même finalité, c'est-à-dire rendre des êtres sociaux (civilisés) dans une même société.
Il n'existe pas une vision unique de l'éducation mais plutôt une multitude. A défaut d’être acceptés et de se voir octroyer une place dans la société, les jeunes perçoivent dans les pratiques Hip hop un moyen de communiquer adapté à leurs besoins, une possibilité de se socialiser entre pairs, mais aussi une chance de pouvoir concilier deux mondes, en apparence antagoniques.
Les codes issus de l’univers des banlieues et ceux dictés par la société sont en difficile coordination ; les arts Hip hop construisent une passerelle culturelle potentiellement bénéfique pour la société.
L’artistique comme expression identitaire
Le langage spécifique issu des quartiers urbains reprend à la fois un système vocal, graphique et gestuel remplissant leur fonction de communication. Mode d'expression propre à un sentiment ou à une attitude, le langage employé par la jeunesse des cités[6] se caractérise par une manière propre de parler au groupe social Hip hop.
Cette communication originale s'opère par un ensemble de procédés dans l'expression de leurs sentiments et de leur conception du monde notamment à travers la danse urbaine, les fresques murales et le registre musical.
« Au milieu des années 70, ces expressions prennent une densité particulière en se regroupant sous le label « Hip hop ». Des USA, le Hip hop arrive en France comme un « tout ». Il sera d'abord imité, puis digéré, enfin reconstruit. »
. Ce phénomène naissant des rues des grandes agglomérations américaines connaît un franc succès qui s'internationalise[8] et prend une ampleur considérable car il touche manifestement une forte quantité d'individu de par le monde.
En effet, ce ne sont pas uniquement les minorités ethniques américaines qui subissent le changement social et le tournant idéologique global. Par ailleurs, les problèmes sociaux sous-tendant aux conflits et tensions entre décisionnaires et populations désœuvrées s'émancipent au-delà du Continent nord-américain. Le coup d'éclat que le Hip hop et ses modes d'expression a entraîné suscite réflexion, compréhension et adaptation à cette culture aussi bien concernant les pouvoirs publics que les populations outre-Atlantique. La diffusion rapide de ce mouvement social favorise son assimilation auprès des publics aux profils identitaires plus ou moins similaires sujets aux mêmes conditions d'existence.
Toutefois, malgré de nombreuses similitudes sur le plan social, les normes indiquées par la nomenclature Hip hop et les propriétés culturelles[9] de ces pratiques en font l'étendard d'une revendication pacifique des conditions de vie au sein des quartiers sensibles[10], et permettent par ajustement aux normes des sociétés diverses manière de compenser par universalisme la distinction[11] et la différenciation inhérentes à chaque société. « Le Hip hop instaure de multiples interfaces et différents niveaux de relation où ne figure pas de bloc communautaire rigide, mais une culture éclatée faite de bricolage. »[12]. Son expansion s'explique par une reconnaissance de la différence comme atout majeur à la démarcation.
Beaucoup moins catégorique que de nombreuses institutions, la communauté Hip hop bâtit son collectif autour d’un universalisme et d’un humanisme qui relativise les conditions de chacun. Par l’usage de formules impersonnelles comme il est clairement observable à travers la création de pseudonymes, l’univers Hip hop garantit l’intégrité de l’individu tout en lui permettant de partager sa vision du monde, ses connaissances, sa technique ou bien ses œuvres.
Se reposant sur l’art[13], les voies expressives Hip hop envisagent le style, la performance et la sensibilité pour évoquer chez le public des émotions et une réaction par la réflexion ou retour personnalisé.
Le rap un genre musical
Le rap[14], genre musical original promis à un bel avenir, naît dans les années 1970 dans les ghettos urbains des États-Unis. Mais, comme pour beaucoup de genres musicaux, il est bien difficile d’en dater précisément ses débuts. Une chose est certaine, le rap n’est pas venu de nulle part, il est l’héritage d’une longue tradition musicale depuis le gospel jusqu’au Reggae. Autre certitude, le rap est né dans le Bronx, dans un quartier de New York livré à lui-même, mais tient également ses origines de la Jamaïque dès le début des années 80.
Le rap a pour sens de jacasser, jacter, rapide, repartie, charmeur, vif… Le mot rap signifie en anglais américain quelque chose comme « baratin ». Il est utilisé dans des expressions comme « Don’t give me this rap » (« sors pas ton baratin ») ou dans un autre sens « take the rap » (« payer pour les autres »). Selon le petit Larousse 2004, le rap (de l’anglo-américain « to rap », bavarder) est un style de musique, apparu dans les ghettos noirs américains dans les années 70, fondée sur la récitation chantée de textes souvent révoltés et radicaux, scandés sur un rythme répétitif et sur une trame musicale composite (extrait de disque, bruitages par manipulation de disques vinyles, etc.).
Lapassade et Rousselot dans Le Rap ou la fureur de dire en 1990, définissent le rap en tant que « diction, mi-parlée, mi-chantée, de textes élaborés, rimés et rythmés, et qui s’étend sur une base musicale produite par des mixages d’extraits de disques et autres sources sonores »[15]. Précisons déjà que le rap ne vient donc pas de nulle part et s'est inspiré de plusieurs sources pour progressivement se distinguer par la déclinaison d'une terminologie technique spécifique, aussi bien sur le plan textuel que gestuel sur scène. Plusieurs procédés permettent de parvenir à constituer les productions instrumentales servant de support mélodique qui permet au rappeur de "poser" (signifie chanter) son texte. Le sample consiste à sélectionner l'échantillon d'une musique pour en réaliser une boucle de plusieurs secondes composant l'instrumental du morceau. Le collage, principalement lié à la performance du DJ avec ses platines et sa table de mixage, opère sur la succession de deux morceaux en les superposant pour donner lieu à une transition, qui avec technicité, créé un enchaînement. Toujours concernant la production sonore et pas forcément les rappeurs, le scratch vise à modifier manuellement la vitesse de lecture d'un disque vinyle en réalisant un geste répétitif en avant et en arrière pour produire un effet spécial et créer des sons aigus ou graves; ou encore le cut qui coupe le son brusquement renforçant le rythme ou le "beat".
Le rap émerge dans un ensemble plus vaste que l’on a progressivement appelée la culture Hip hop[16]et qui comprend également des danses urbaines (break, smurf, hype), des modes vestimentaires, des arts graphiques (graffiti, tag), un langage.
A l’inverse de nombreux courants musicaux, l’origine du Rap est clairement identifiable et ne laisse pas de place aux approximations. Le Rap, c’est le son du ghetto et en particulier celui du Bronx à New York. Dans le désœuvrement le plus total et une violence extrême, les acteurs du mouvement construisent en une paire d’années, un des derniers mouvements musicaux du 20ème siècle[17].
Comme souvent dans les musiques populaires, c’est l’art du recyclage et de la transformation qui sert de précepte à la culture hip hop. Le graffiti use de simples bombes aérosols pour colorer la ville. La breakdance, s’inspire des mouvements de la capoeira brésilienne et les mélangent avec les chorégraphies de films de Kung-fu.
Les « DJ’s »[18] ne possèdent pas d’instruments et détournent l’usage du tourne disque pour échantillonner des sons déjà existants, en créant des boucles, en scratchant le sillon.
Les « Battles » sont apparentées à des joutes oratoires bien connues des afro américains, sorte de combat verbal, inventif et souvent grossier dont le vainqueur est celui qui a le dernier mot. Ce phénomène se retrouve notamment dans la pratique de la danse.
Un discours imprégné de sources anciennes
D’abord festif, rapidement militant, le Rap trouve rapidement son public qui se reconnaît dans cette musique instinctive et sauvage. Les deux sources principales du Rap[19] sont la musique noire américaine et la musique jamaïcaine, en particulier le reggae. Le rap s’inscrit en effet dans une filiation allant du Gospel au funk en passant par le blues, le jazz, la soul, le rock. Ces différents genres musicaux ont tous inspirés le rap, par leur rythmique, leur instrumentation, leurs mélodies (ne serait-ce que par les samples utilisés par les DJ).
Une tradition verbale existe déjà dans la culture afro-américaine, celle des « dirty dozens »[20], ces insultes à connotation sexuelle, souvent adressées à la mère de la personne visée (le « Motherfucker » vient de là….), et d'une poésie engagée reconnu sous l'appellation de "spoken word".
Pour retrouver les prémices du rap dans sa dimension politique et sociale, il faut s’intéresser au groupe des Last Poets[21]. Ils sont en effet les précurseurs du rap par les thèmes qu’ils abordent comme la défense de l’homme noir persécuté et son affirmation. Par le langage qu’ils utilisent (celui de la rue parlé par les noirs), par le choix de la rime enfin.
Le groupe se forme en 1969, il est proche des Black Panthers qui scandent alors leur slogan « Black Power ! ». Leur premier album sort en 1970. Ils vont, en parallèle à l’émergence du rap, mener une carrière de chanteurs militants, marquée par des titres comme « Niggers are Scared of Revolution », « Les négros ont peur de la révolution » ou « Run, Nigger, Run », « Cours, Négro, Cours ».
L’autre source importante du rap, surtout pour les conditions dans lesquelles la musique est réalisée, est la musique jamaïcaine, elle-même très liée aux genres précédemment cités. L’histoire de la musique est en effet faite d’allers-retours constants et d’influences réciproques. Dans les années 1950, parmi les animateurs de radio, une tradition du parler en rythme sur la musique diffusée ou "jive talk" se développe chez des DJ’s noirs de Floride[22]. Les DJ’s jamaïcains, qui captent les radios de Miami et de la Nouvelle-Orléans, s’en inspirent pour créer le « toasting », une manière particulièrement vive d’enchaîner les rimes. Mais en Jamaïque, le toasting se développe plutôt dans la rue, à bord de "sound-systems" mobiles, lancés par les disquaires pour faire connaître la musique que les gens n’ont pas les moyens de s’acheter. Les disques de reggae joués en version instrumentale, les « dubs » (morceaux instrumentaux) font ainsi les beaux jours de ces discothèques ambulantes ou "sound-systems".
Précisons qu’il y a alors de moins en moins de musiciens live du fait de l’émigration vers les États-Unis ou le Royaume-Uni et du développement du tourisme sur la côte nord de l’île.
Dans les années 1960, les « sound-systems », (pour lesquels une personne suffit : le « selector » ou « DJ ») remplacent donc progressivement les musiciens. Au cours des années 1960, le toast débarque aux États-Unis et rencontre un grand succès dans les rues des ghettos. Les techniques évoluent, le parler des toasting s’américanise.
Un Disc Jockey d’origine jamaïcaine, DJ Kool Herc (Clive Campbell, de son vrai nom) affirme le style DJ rap[23] au début des années 1970. Il est un des précepteurs du rap et du style musical Hip hop. Non pas issue du rap, mais conditionnée par le rythme qu'il impose, la musique participe grandement à la pratique de la breakdance. D'autres personalités influentes ont contribué à l'émergence du Hip hop et et la création d'un genre musical. Africa Bambaataa et Grandmaster Flash Dj's également, complètent le trio des précurseurs de ce mouvement populaire en apportant une nouvelle conception de la vie dans les ghettos. Emblématiques dans le Bronx, ils contribuent grandement à la fondation d'une philosophie Hip hop, au développement d'un mode relationnel pacifique et à l'essor de pratiques artistiques originales.
UN MOUVEMENT COMMUN AUX ARTS HIP HOP
Ce mouvement culturel accepte les différences par la créativité et le rassemblement, et se distingue de la dynamique sociétale qui vise à gommer les divergences. En-dehors de structures gouvernementales, cette sous-culture urbaine issue du milieu populaire, créé des manières d'être et s'invente une conception de la vie qui chamboule la vision du monde global. Ses maximes et ses propriétés en font une entité morale influant sur la socialisation des minorités[24], notamment au sein de leur groupe identitaire.
Malgré une attitude et un état d'esprit particuliers et suivant les principes démocratiques[25], le Hip hop envisage à travers son expressivité une ouverture au dialogue avec les instances de régulation afin de faire évoluer les droits de chacun. Cette tentative personnalisée et inédite de communication peut paraître hostile, violente ou même désuète selon les points de vue. Pour autant, le caractère évocateur des us et coutumes Hip hop ébranle les discours, et par sa symbolique transmet des émotions en exprimant une certaine sensibilité à l'état de fait social[26].
La notion de défi se révèle dans la volonté d'être et de se montrer le meilleur possible ; de rechercher la perfection par la quête de sens et de sensations personnels. En résonance avec l'esprit de compétition, la provocation venant des jeunes de banlieue est davantage perçue comme un moyen de détourner les luttes violentes et l’idéologie de la réussite dans un engagement constructif.
La question du respect, pour sa part, occupe une place centrale dans le mouvement. Ce concept matérialise le principe d'acceptation des différences d'autrui. En effet, le plaisir d’être ensemble est préféré à la violence, d'où le « fresh » ou plus communément appelé « l’esprit fresh » qui se caractérise par une attitude avenante, tolérante. Le « freshman »[27] est le débrouillard plein d’énergie qui sait se faufiler entre les problèmes et adopte une attitude positive de vie malgré les difficultés. Le rap, la danse ou les graffs prônent la non-violence et ont pour objet de résoudre les conflits en préservant la dignité des individus.
Enfin, l’antiracisme est un pilier du mouvement qui prend racine dans son principe fondateur de mixité sociale. Par conséquent, le Hip hop ne nie pas les différences entre les individus mais refuse tout jugement de valeur en les plaçant sur un plan égalitaire.
A partir de cette conception, les pouvoirs publics - tendant à se rapprocher de leurs origines universalistes - vont intenter des actions basées sur l'assimilation, puis la restitution des maximes et pratiques Hip hop, dans une version interprétée politiquement et conforme à leurs attentes[28].
Percevant la philosophie, la symbolique et l'efficacité dans le dialogue, les arts Hip hop pour le moins ignorés deviennent une possibilité innovante et actuelle de faire évoluer les modes de vie, les mentalités ainsi que les représentations collectives[29]. Malgré des formes discutables, les pratiques artistiques Hip hop, dépourvues de leur subversivité offrent des media diversifiés et des supports ajustés à la transmission de valeurs ou à l'émission de mentalités qui visent la cohésion par l'apport d'une esthétique nouvelle et d'un rapport au corps réinventé.
L’organisation des collectifs
Les diverses pratiques culturelles présentées précédemment s’organisent autour de collectifs en autogestion relatives aux groupes et aux territoires. La valeur de l'autonomie[30] est perçue dans les conditions de pratiques originelles, et démontre comment une certaine vision éducative s'affirme par une transmission des savoirs et du patrimoine Hip hop, à travers la coopération et la cohésion[31]. Cette transmission collective offre un climat propice à l'intégration sociale, à la socialisation et à la construction identitaire.
« Les jeunes n'ayant pas de salles pour se réunir, vont s'amuser à créer ces danses à la beauté sauvage dans la rue, les bouches de métro, les cages d'escalier, hall d'immeubles, caves, hangars, peu importe le lieu du moment qu'on peut danser. »[32].
Néanmoins, les activités artistiques Hip hop répondant à un cadre informel, permet la libération de pulsions qui sortent des normes conventionnelles et institutionnelles pour mieux se réinventer un univers en adaptation avec l'environnement qui fait appel à l'instinct et à l'harmonie avec les éléments. Le milieu urbain devient alors un matériau qui substitue les besoins en matériel, scène ou logistique. L'espace public rendu artisanal[33] est envahi peu à peu par les danseurs qui inondent les lieux de circulation des individus et les jeunes apprivoisent leur technique de danse, de chant ou picturale, sans contraintes sociale hormis la composition du mobilier urbain.
« Le groupe (...) se réjouit de la différence qu'il autorise et encourage, mais rejette ce qui ne correspond pas au code, à l'idéal du groupe à l'autre. Il régule, il maintient la loi, protège contre les tentations narcissiques, les épanchements émotionnels trop débordants, les excès de violence. Il maintient un ordre auquel les expressions individuelles doivent se soumettre, celui de l'autre commun. »[34].
En apparence, une comparaison entre les normes de conduites Hip hop et un système anarchique pourrait s'établir tant l'autogestion se réalise au moyen d'une codification et de représentations collectives qui conditionnent la pratique sans outrepasser les valeurs universelles et de respect envers autrui.
La violence exprimée dans les défis est relativisée par l'expression d'un sentiment et non dans la recherche d'un conflit personnel. Ainsi, les actes violents sont réprimés, tout abus qui s'écarte des principes Hip hop est jugé par les pairs et la référence aux traditions et aux cérémoniels est plébiscité. La configuration et la ritualisation qui normalisent les conduites lors des diverses pratiques, sollicite une appréhension de soi et du monde qui nous entoure. Par des procédés à la fois artistiques et esthétiques propres aux arts Hip hop, les divers collectifs viendront mettre en exergue un détournement de la violence physique, symbolique et imagée en guise d'expression populaire[35]. Pour éviter de désagréger le lien social et d'engendrer des conflits ou de la violence, la structuration communautaire du Hip hop se fonde sur une organisation autonome. Le mode de vie, la mentalité et les pratiques sont réglementées par le bon sens, la tolérance et la volonté de communiquer par la création artistique. Initialement sans labels, producteurs ou managers, les pratiquants des arts Hip hop voient leur conditions de production changer.
Des tensions sociales et raciales apaisées
Un des points forts de la culture Hip hop vient du fait de son universalisme qui à travers ses membres et ses disciplines artistiques transcendent les clivages, détourne la violence et joue un rôle dans la socialisation des déclinés comme marginaux.
« Si les origines afro-américaines du mouvement sont soulignées dans la légende de Bambaataa, ce qui est particulièrement retenu dans les espaces institutionnels où ce récit est diffusé, ce sont les possibilités de transformation de ce trait ethnique en lutte contre le racisme et la violence sous-jacente aux conflits inter-ethniques en « attitude positive » en « actes créateurs », en « respect de l'autre » en acceptant un certain pluralisme ethnique. En ce sens les politiques publiques travaillent l'image du Hip hop en corrélation avec les logiques d'intégration sociale portée par les politiques jeunes. »[36].
L'univers Hip hop et notamment la Breakdance s'inscrit dans une cohérence entre cohésion et productivité en termes artistiques.
La mixité sociale des quartiers populaires catalyse la création à partir d'un multiculturalisme qui inspire les pratiquants des activités Hip hop. Les liens qui se créent entre les membres de la communauté Hip hop évoquent une volonté de partage, de communion et d'invitation qui provoque la réflexion des pouvoirs publics à son sujet compte tenu de l'atmosphère régnant au sein de ces quartiers et du peu d'échanges avec leurs résidents.
« On insiste plutôt sur ce qui peut rassembler les jeunes des cités que sur ce qui peut le diviser. Les acteurs institutionnels ne cessent d'ailleurs d'invoquer la lutte contre le racisme, le combat contre la violence et les identifications ethnicisantes de quelques jeunes. »[37].
Malgré les conflits internes aux quartiers populaires entre groupes de jeunes ou plus communément appelés « bandes »[38] ou gangs par les pouvoirs publics, « crews » (équipes ou collectifs rassemblant diverses compétences) et « posses »[39] (« familles sociales » qui font évoluer l’art) pour les acteurs eux-mêmes, les représentants politiques perçoivent une opportunité à saisir en décryptant les mécanismes qui favorisent l'entente entre les jeunes.
Il est question ici de comprendre ce qui unit la jeunesse et de définir les éléments qui pourraient contribuer à renouer le dialogue avec les institutions publiques garantes de la préservation des droits inaliénables et individuels. « Hugues Bazin dit que la culture Hip hop n'est pas exempte de stratégies identitaires assemblées dans le rapport de minorités à une société dominante. »[40]. Les conflits raciaux, les tensions de classes sociales ainsi que les problèmes liés à la pauvreté et à l'éducation montrent dans les faits des décalages politiques entre les discours et les actions. En effet, l'idéal de société comme il est suggéré à travers la République sous modèle démocratique[41] ne parvient pas à équilibrer la logique politique avec la réalité sociale. La confrontation entre deux échelles de société, l’une micro- et underground englobée dans la macro- et légitime, s’inscrit dans un schéma relationnel collaboratif, indiquant une supervision des actes tendant vers la légitimation du Hip hop[42] qui s’exprime par l’inclusion de ces pratiques dans divers champs culturels. Cette perspective prend son sens désormais autour de labellisations : avec le « street art » pour l’univers du graff, la production musicale concernant les rappeurs ou DJ et l’horizon olympique destinés aux danseurs.
La structuration en autonomie, que ce soit d'un point de vue territorial ou social, ne paraît guère rassurante pour les pionniers car ces pratiques restent plus ou moins en définition et en voie d'officialisation. Une identité s'est forgée dans cette entité et porte certains espoirs dans la lignée de grands courants contribuant à la liberté et à l'égalité. Fidèle à un patrimoine ancien, les moyens utilisés par les acteurs du Hip hop pour évoquer leur discours sont ajustés à l'environnement urbain lié au mode de vie moderne[43].
Les modes d'expressions Hip hop respectent une éthique[44], se réfèrent à une nomenclature spécifique et détermine une terminologie selon les activités qui manifestent un réel monde parallèle, se déterminant par le qualificatif « underground ». Se basant sur des références communes, partagées et fonctionnelles, l'usage artistique offre une voie tout aussi pertinente que divertissante.
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[1] POTTER R., Spectacular vernaculars: Hip-hop and the politics of postmodernism, New York, State University of New York Press, 1995.
[2] FERNANDO S-H., The New Beats. Culture, musique et attitudes du hip-hop, Paris, Éd. Kargo, 2000 [1992].
[3] CHARNAS D., The Big Payback. The History of the Business of Hip-Hop, New York, New American Library, 2010.
[4] FAURE S., GARCIA M-C., Culture Hip Hop, jeunes des cités et politiques publiques, Paris, Éd. La Dispute, 2005.
[5] Ibidem
[6] LEPOUTRE D., Cœur de banlieue : codes, rites et langage, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997.
[7] FAURE S., GARCIA M-C., Culture Hip Hop, jeunes des cités et politiques publiques,op. cit.
[8] CHARNAS D., The Big Payback. The History of the Business of Hip-Hop, op. cit.
[9] BOURDIEU P., La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éd. Minuit, coll. « Le Sens commun », 1979.
[10] STAPLETON K--R., « From the Margins to Mainstream: the Political Power of Hip-Hop », Media, Culture & Society, vol. 20, 1998, p.219-234.
[11] BOURDIEU P., La Distinction. Critique sociale du jugement, op. cit.
[12] BAZIN H., La culture Hip hop, Paris, Desclée de Brouwer, 1995.
[13] SHUSTERMAN R., L’Art à l’état vif. La pensée pragmatiste et l’esthétique populaire, Paris, Minuit, 1991.
[14] HAMMOU K., Une Histoire du rap en France, Paris, La Découverte, 2012.
[15] LLAPASSADE G., ROUSSELOT P., Le Rap ou la fureur de dire, Paris, Loris Talmart, 1990.
[16] ROSE T. ; Black Noise: Rap Music and Black Culture in Contemporary America, Hanover, N.H, Wesleyan University Press,1994.
[17] COULANGEON P., « La stratification sociale des goûts musicaux : Le modèle de la légitimité culturelle en question », Revue Française de Sociologie, vol. 44, no. 1, 2003, pp. 3-33.
[18] POSCHARDT U. "DJ Culture ; n°3 de la revue Nomad’s Land" (1998) ; printemps-été 2002.
[19] TOOP D. Rap Attack: African Jive in New York Hip-Hop, Boston. South End Press. 1984
[20] LAPASSADE G. & ROUSSELLOT P. Le Rap ou la fureur de dire, Paris, Loris Talmart, 1990.
[21] Last Poets, Groupe précurseur du rap constitué à Harlem en 1968 : The last poets en 1970 - Douglas Records ; Right On en 1971 - Juggernaut-Records et dernier album Transcending Toxic Times en 2019 – Ropeadope-Music-Entertainment-LLC.
[22] BESNARD Alexandra ; « Hip-hop et DJing : une pratique musicale technique dans « l’arène sociale » » ;. Volume !, p.93-108 ; 2004.
[23] POSCHARD U. DJ Culture, Paris, L’Éclat/Kargo, 1995.
[24] BOURDIEU Pierre, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris ; Éd. Minuit, coll. « Le Sens commun », Paris, 1979.
[25] DEWEY J., « La démocratie créatrice – la tâche qui nous attend », Horizons philosophiques, vol. 5-2, 1995, p. 41-48.
[26] SHAPIRO R. & BUREAU M-C, « Un nouveau monde de l’art ? Le cas du hip-hop en France et aux États-Unis », Sociologie de l’Art, n° 13, 2000 ; p. 13-32.
[27] BAZIN H. Ibid.
[28] LAFARGUE DE GRANGEVEUVE L. Politique du hip-hop. Action publique et cultures urbaines, Toulouse, Presse Universitaires du Mirail, 2008.
[29] SECA J-M. Les représentations sociales, Ed. Armand Colin, Coll. Cursus, Paris, 2002.
[30] PETERSON R. « La fabrication de l'authenticité », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 93, p. 3-20, 1992b.
[31] ANZIEU D. & MARTIN J-Y, La dynamique des groupes restreints, Paris, PUF,. 2000.
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[44] GUIBERT G.; « L’éthique hip-hop et l’esprit du capitalisme » ; Mouvements, n°11 ; 2000 p54-59.