N°8 / Antonio Gramsci : Idéologie, Praxis, Héritages

Varia/ Controverse, pastiche et attentat intellectuel

Denis Jeffrey

Résumé

Habituellement, dans un débat autour d’une controverse scientifique, on permet à des opposants de défendre une position contradictoire. Ce type de débat est courant dans les activités scientifiques, car il permet aux chercheurs de s’expliquer publiquement dans le plus grand respect des personnes. Sur l’affiche d’invitation, il était écrit qu’il s’agissait d’une « conférence-débat ». Le titre de cette conférence-débat « Un canular pour secouer le cocotier : controverse autour d’une sociologie imaginaire » comporte d’emblée une provocation puisqu’est visée ici la « sociologie de l’imaginaire ». Aussi, pour attirer l’attention du public, les organisateurs de ce séminaire « académique » ont utilisé la couverture d’un numéro de la revue Les Cahiers de l’imaginaire qui porte le titre « Le fake ». Disons que ce lien calculé visait d’emblée à suggérer que la sociologie de l’imaginaire ne pourrait être que du « fake ». Que penser de promoteurs d’un débat-conférence qui annoncent d’emblée leur impartialité ?

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VARIA

Par Denis Jeffrey, Professeur titulaire Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval, Québec, Canada.

J’ai assisté le 2 décembre 2015 dans l’enceinte de l’Université de Montpellier à un séminaire qui devait porter, selon le titre de l’affiche publicitaire, sur une controverse scientifique. Il est tout à fait pertinent dans une institution universitaire de discuter librement de controverses scientifiques afin de montrer aux étudiants comment la production des savoirs dans les sciences humaines et naturelles est traversée par des questions morales, sociales, politiques et économiques. Sur ces sujets, on peut notamment lire les nombreux travaux de Bruno Latour en France et de Ernst von Glasersfeld aux États-Unis.

Habituellement, dans un débat autour d’une controverse scientifique, on permet à des opposants de défendre une position contradictoire. Ce type de débat est courant dans les activités scientifiques, car il permet aux chercheurs de s’expliquer publiquement dans le plus grand respect des personnes. Sur l’affiche d’invitation, il était écrit qu’il s’agissait d’une « conférence-débat ». Le titre de cette conférence-débat « Un canular pour secouer le cocotier : controverse autour d’une sociologie imaginaire » comporte d’emblée une provocation puisqu’est visée ici la « sociologie de l’imaginaire ». Aussi, pour attirer l’attention du public, les organisateurs de ce séminaire « académique » ont utilisé la couverture d’un numéro de la revue Les Cahiers de l’imaginaire qui porte le titre « Le fake ». Disons que ce lien calculé visait d’emblée à suggérer que la sociologie de l’imaginaire ne pourrait être que du « fake ». Que penser de promoteurs d’un débat-conférence qui annoncent d’emblée leur impartialité ?

J’ai vite réalisé que le séminaire du 2 décembre n’était pas une activité de formation universitaire. Des Professeurs de l’Université de Montpellier ont profité d’une activité académique pour porter atteinte à la réputation du Professeur Michel Maffesoli. C'est-à-dire qu’ils ont transformé une activité dédiée à la formation des étudiants en procès d’intention contre le Professeur Maffesoli et sa sociologie sous couvert de présenter une controverse scientifique. On aurait pu s’attendre à ce que les règles de l’art d’un débat soient respectées afin que les opposants puissent présenter leur point de vue. Or, un point de vue a été favorisé au détriment de l’autre.

Lorsque l’arbitre d’un débat est neutre et impartial, chacun des opposants a alors la chance de présenter franchement et sans équivoque ses idées, ses arguments, ses positions théoriques et sa posture épistémologique. Mais le séminaire du 2 décembre n’a respecté aucune des règles qui encadrent habituellement un débat entre intellectuels. Les organisateurs ont plutôt cherché à attaquer l’intégrité de Michel Maffesoli et de ses collègues. Cette position est injustifiable. Attaquer l’intégrité de la personne d’un Professeur, dans une enceinte universitaire ou hors d’une enceinte universitaire, est toujours injustifiable. Dans mon pays, une atteinte à la réputation ou à l’intégrité d’une personne n’est pas seulement inacceptable du point de vue de l’éthique, mais aussi du point de vue du droit.

En fait, l’atteinte à la réputation d’une personne est une forme de diffamation, et sous d’autres cieux elle peut être sévèrement punie. Cela dit, il est possible de discuter d’idées et de théories tout en se respectant, c’est ce que l’histoire de la démocratie nous montre depuis au moins Solon.

Chacun d’entre nous a droit au respect de sa réputation, que ce soit lors d’un débat public, sur Internet ou en d’autres espaces publics. Il me semble que la France l’a bien compris puisqu’elle a récemment ajouté des lois pour protéger davantage les enfants contre l’intimidation dans les écoles et sur Internet (cyberintimidation). Or, il y a des Professeurs d’université qui ne donnent vraiment pas le bon exemple. Ils se comportent, en fait, comme des élèves qui transgressent par plaisir sadique les règles convenues de civilité basées sur le respect réciproque.

Limites de la liberté d’expression en démocratie

Par ailleurs, dans un pays comme la France qui a quasi sacralisé la liberté d’expression, surtout à la suite des attentats de Charlie Hebdo, il est plutôt étonnant qu’on permette à deux jeunes chercheurs connus pour leur pastiche paru dans la revue Société, de tenir des propos diffamatoires contre Michel Maffesoli. Non pas qu’il faudrait brimer leur liberté d’expression. Il leur est permis d’aiguiser avidement leurs crocs sur la pensée de Michel Maffesoli, mais il ne leur est pas permis de lui manquer de respect.

À ce sujet, il est évident que dans leur présentation de Michel Maffesoli, ils ont multiplié les insinuations douteuses au sujet du nombre élevé de doctorants qu’il a mené jusqu’à la soutenance, au sujet du nombre élevé de ses publications, au sujet de son passage au CNU, de sa nomination à l’IUF, etc. Ils ont même odieusement souligné l’association de Michel Maffesoli avec des entreprises privées comme Kedge business school. Le but de l’opération était de disqualifier la personne de Michel Maffesoli. Dans les démocraties de droits, habituellement, de tels propos sont sanctionnés. J’irai plus loin en soulignant que dans les enceintes universitaires canadiennes, de tels propos sont immédiatement réprimés. Chez nous, on discute d’idées avec des idées. C’est la base même de la discussion savante qui permet la libre circulation de la parole entre chercheurs, universitaires et intellectuels.

Déviance dans la formation universitaire

Il y a lieu de se demander pourquoi les responsables d’un séminaire qui porte sur les controverses scientifiques ont permis que soient tenus de tels propos. On pourra même penser qu’ils ont instrumentalisé les jeunes auteurs du pastiche paru dans la revue Sociétés pour discréditer la sociologie de Michel Maffesoli et par conséquent, attaquer ses collègues de Montpellier. Évidemment, c’est une question qu’il est légitime de se poser, disons, pour rester dans un cadre scientifique, à titre hypothétique.

Le fait est le séminaire annoncé n’était pas dédié à l’étude d’une controverse scientifique. Nous avons plutôt entendu deux jeunes chercheurs soutenir que la personne de Michel Maffesoli est controversée. La manœuvre était facilement détectable comme bon nombre de participants l’ont bien vue. Le jeu des amalgames entre la personne du sociologue et sa pensée sautait aux yeux. On portait atteinte à sa réputation en cherchant à dévaloriser sa pensée, et en cherchant à dévaloriser sa pensée, on voulait porter atteinte à sa réputation. Encore une fois, pour ceux qui ne le savent pas, la diffamation est définie comme une allégation de nature à porter atteinte à la réputation et à la renommée d’une personne en l’exposant à la haine ou au mépris et en lui faisant perdre l’estime ou la confiance des autres à son égard.

Les responsables de l’activité académique auraient pu organiser un débat contradictoire entre les maffesoliens et une autre école sociologique sur un thème précis. Cela aurait été de bon aloi. C’est la manière honnête de faire les choses dans les universités où les Professeurs respectent l’éthique des chercheurs et l’éthique de la recherche. Mais dans le séminaire du 2 décembre, on a demandé à deux jeunes chercheurs, dont l’un montrait un rapport amourhaine avec la personne et la pensée de Michel Maffesoli, de venir exposer un point de vue qui constituait une attaque contre la personne et l’œuvre.

Il est clair que la réputation de Michel Maffesoli a été attaquée. Il y a eu diffamation. Quant à l’œuvre, les propos de ces jeunes chercheurs étaient entachés d’un parti pris. On a pu avoir le sentiment que l’un d’eux était à la fois fasciné et terrorisé par la pensée de Michel Maffesoli. Ce dernier a essayé de mettre en évidence quelques caractéristiques bien connues de la pensée de Michel Maffesoli : qu’il multiplie les métaphores, qu’il fait usage de concepts opposés, qu’il réfère à Heidegger, à Durand ou à Jung, etc. Or, ce sont des aspects de son travail qu’il assume. Ce ne sont d’ailleurs pas des commentaires très intéressants. On pourrait adresser les mêmes remarques à Edgar Morin. Or, là où le bât blesse, c’est qu’il a associé la structure de la pensée de Michel Maffesoli à des biais scientifiques. S’il y a biais scientifique, et l’accusation est grave, il faudrait alors que cela soit mieux montré. La démonstration de ce jeune chercheur souffrait de ses insuffisances et de ses novices interprétations. Dans un sens, à la manière de Monsieur Jourdain, il ne faisait que communiquer des truismes. On ne peut reprocher à un penseur son style. Ce n’est pas une faute. Va-t-on reprocher à Lacan d’écrire dans un style lacanien, à Marx dans un style marxien ou à Bourdieu dans un style bourdieusien !

Il y avait lieu, pour les responsables de ce séminaire, de présenter aux étudiants ce qu’est une réelle controverse scientifique, ce qu’est un biais scientifique et quels sont les critères de validité d’une production scientifique autant en sciences naturelles qu’en sciences humaines. Mais il semble que les petites haines intellectuelles et politiques étaient le véritable enjeu de ce séminaire.

Un séminaire qui a tourné en procès contre un sociologue

D’une part, dans ce séminaire qui n’en était pas un, il n’y a pas eu débat, car on n’a pas permis à un défenseur de la sociologie de l’imaginaire de présenter d’une manière systématique un autre point de vue que celui de deux jeunes chercheurs qui, eux, ont eu une heure trente pour présenter le leur. D’autre part, lorsque le Professeur Patrick Tacussel voulut prendre la parole pour présenter justement un point de vue contradictoire, l’animateur du séminaire lui criait après pour l’obliger à s’inscrire dans une perspective positiviste de la preuve. Cette demande était d’autant plus choquante qu’il devait savoir que depuis presqu’un siècle, les productions de savoir en sciences naturelles et en sciences humaines ont en commun de trouver une validité non pas par la preuve, mais à l’aune d’autres critères comme la falsifiabilité, l’inscription dans une filiation théorique, la maîtrise des outils de collecte de données, etc.

Nous ne vivons plus dans une époque où les chercheurs croyaient révéler les lois de la nature ni dans une époque où les chercheurs croyaient trouver la validité d’un savoir dans son adéquation avec un réel. Depuis au moins Nietzsche, les chercheurs savent qu’ils ne produisent plus des vérités, mais des savoirs ouverts à la production de nouveaux savoirs. Nietzsche a notamment souligné ce fait : « Ce qu’il y a de nouveau dans la situation actuelle, c’est une conviction qui n’a encore été celle d’aucune époque : Nous ne possédons pas la vérité. Tous les hommes d’autrefois possédaient la vérité, même les sceptiques ».

Les chercheurs ont réalisé, au moins depuis la seconde modernité, que l’objectivité d’un savoir scientifique est d’abord dans la méthode utilisée pour le produire. Déjà à la Renaissance, on a défendu l’idée que les chercheurs produisaient des savoirs scientifiques, alors que les théologies produisent des vérités apodictiques. Karl Popper radicalise cette position en soutenant que toutes productions de savoirs doivent être falsifiables. Aujourd’hui, nous construisons des savoirs, c’est pourquoi nous nous intéressons aux méthodologies utilisées pour construire des savoirs. C’est aussi pourquoi nous nous intéressons aux controverses scientifiques.

Il y a controverse parce qu’on ne peut jamais entièrement neutraliser la subjectivité du chercheur. Par conséquent, le chercheur lui-même peut devenir le biais le plus important d’une démarche scientifique lorsqu’il nie la place occupée par sa subjectivité. L’immense courant herméneutique qui traverse l’histoire de la pensée occidentale rappelle aux producteurs de savoirs (Jean Grondin, L’Herméneutique, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2006) qu’ils doivent être au clair avec leurs préconceptions (leurs idées reçues, leurs préjugés, leur usage de concepts non définis) sur le monde, sur eux-mêmes et sur autrui. Le sujet chercheur n’est jamais neutre, et c’est là le but d’une méthode, non pas de neutraliser le sujet, mais d’éviter de le refouler.

Nous ne sommes pas tous positivistes

Lorsque l’animateur du séminaire du 2 décembre veut qu’on fasse la preuve (la preuve de quoi ? – Que les deux étudiants qui ont parlé de Michel Maffesoli avaient raison d’atteindre à sa réputation ?), qu’on lui donne des preuves, il posait une question dont il ne semblait pas maîtriser les sous-entendus épistémologiques. Et s’il les maîtrisait, il montrait alors qu’il ne voulait pas ouvrir la discussion avec des maffesoliens puisqu’il n’était pas sans savoir que ces derniers ne se situent pas du tout dans une tradition positiviste. Le discours de la preuve, pour les sociologues contemporains, quelle que soit leur filiation, a été remplacé par celui de la méthode (la méthode comprend également la clarification des concepts, l’inscription sous un mode critique dans un héritage de pensée, la maîtrise des savoirs de pointe dans son champ disciplinaire, etc.). En fait, il existe quelques distinctions dans les critères de validité des sciences naturelles et des sciences humaines (y compris les sciences historiques) – comme la reproductibilité et la prévisibilité –, étant donné que les sciences humaines ne sont pas prédictives même si on peut trouver des invariants, des occurrences, des tendances, mais aussi des ruptures et des discontinuités.

En fait, qu’il s’agisse des sciences humaines ou des sciences naturelles, nul chercheur n’a la prétention de dire le réel, car il construit une réalité, c'est-à-dire une représentation du réel, un discours sur le réel, quel que soit ce réel, c'est-à-dire cet objet sur lequel il travaille. Dit autrement, le scientifique construit sur le réel une réalité à partir de sa filiation théorique. C’est pourquoi les savoirs scientifiques ne représentent pas le réel tel qu’il est, mais tel que leurs concepts et leurs théories permettent de le décrire, de l’expliquer et de le comprendre. Pour donner des exemples, soulignons qu’un dossier médical représente un patient, qu’un dossier scolaire représente un élève, qu’une carte routière représente un territoire. La sociologie maffesolienne représente la socialité contemporaine, comme celle de Bourdieu représente les tensions et conflits dans les constructions identitaires. Ce ne sont pas des vérités, ce sont des perspectives théoriques sur un réel.

En fait, une représentation, pour utiliser cette métaphore, peut être comparée à la carte routière d’un territoire. Une carte routière ne peut représenter l’ensemble du réel, c’est pourquoi on dit qu’elle représente un point de vue sur le réel, une perspective sur le réel, l’une de ses réalités. En fait, une carte routière est une interprétation du réel qui opère à la fois par réduction et simplification pour la rendre lisible. On simplifie le complexe en le réduisant à des intentions de fabrication d’une carte, et cette carte ne doit pas comprendre trop d’informations, car elle ne sera plus lisible ni utilisable.

La métaphore du général et du soldat constitue une belle illustration de cela. Le général suit un combat dans son bureau d’état-major par le biais de caméras satellites. Il a un point de vue transcendant du terrain où se déroule l’action guerrière. Sa représentation de la réalité ne peut être celle du soldat qui a plutôt un point de vue immanent du terrain. Mais aucune n’est fausse. Le soldat qui subit les bombardements et les fusillades ne voient évidemment pas la guerre du même point de vue que le général. Mais il n’est pas plus objectif que le général. Ce sont deux points de vue objectifs, deux perspectives qui peuvent se compléter et s’enrichir l’un l’autre. La validité des points de vue, dès lors, n’est pas tant dans une preuve, mais dans le processus d’interactions sociales entre le général et le soldat qui s’échangent des informations. Il en va de même pour les chercheurs qui, s’ils s’engagent avec honnêteté dans un débat, proposent leurs points de vue, leurs perspectives, leurs théories, c'est-à-dire des représentations concurrentes du réel, et les discutent franchement, non pas pour prouver qu’ils ont raison, mais pour enrichir leur propre point de vue.

Ce « perspectivisme méthodologique » ne disqualifie pas le travail des scientifiques. Par ailleurs, il ne faudrait pas penser que les productions de savoir issues des approches qualitatives ou des approches compréhensives sont dépourvues de crédibilité scientifique. Or, cette crédibilité ne peut s’établir sur les critères utilisés dans les anciennes conceptions positivistes. N’oublions pas que les positivismes ont la prétention de décrire le réel tel qu’il est. C'est-à-dire de dire la vérité. C’est pourquoi leur méthodologie s’inscrit dans un discours de la preuve. Pour notre part, nous savons qu’une preuve est une interprétation du réel, et nous nous nous consacrons plutôt à discuter avec nos collègues de nos interprétations du réel afin d’enrichir les connaissances.

En somme, en plus d’inviter deux jeunes chercheurs qui ont attaqué la réputation de Michel Maffesoli, le responsable du séminaire a miné le débat en demandant que les maffesoliens fassent la preuve que Michel Maffesoli est un honnête homme et que sa sociologie n’est pas sulfureuse. En fait, en plus de se retrouver dans un tribunal, dans ce tribunal les dés étaient pipés.

Un canular qui est un attentat contre la liberté d’expression

Une partie de la présentation des deux jeunes chercheurs a porté sur le plaisir qu’ils ont eu à faire éditer un pastiche dans une revue associée à Michel Maffesoli. Nous avons bien observé leur jubilation lorsqu’ils ont parlé de ce canular. L’un d’eux trépignait sur sa chaise, comme Sainte-Thérèse lorsqu’elle jouissait d’avoir en elle le petit Jésus.

Pourtant, il n’y a pas de quoi rire avec un tel canular, comme il n’y a pas de quoi rire lorsque des étudiants trichent en plagiant ou en achetant un travail scolaire sur Internet. Tous les Professeurs savent bien que certains étudiants remplissent leurs travaux de textes trouvés sur Internet, mais sans donner les références. Ce sont des tromperies qui viennent fragiliser nos formations universitaires.

Un canular constitue un torpillage dans les institutions de diffusion du savoir que sont les revues savantes. Ici, permettez-moi de parler à partir de mes responsabilités de directeur d’une revue scientifique internationale en sciences de l’éducation qui porte le nom de Formation et Profession. Comme éditeur de travaux savants, nous craignons les pastiches et les canulars de toutes sortes parce que nous savons qu’il est facile de les produire. En effet, il est facile de produire un article dans lequel on a volontairement inséré des biais. Et que penser de ces chercheurs sans éthique qui inventent des données, qui inventent un terrain, qui invente des entrevues. Il est affreusement difficile de tout vérifier, même si tous les articles qu’une revue publie sont systématiquement évalués par deux évaluateurs externes.

Nous pouvons en tout temps nous faire arnaquer. C’est pourquoi nous pensons que les deux jeunes chercheurs français instigateurs de l’arnaque de la revue Sociétés sont fautifs. En s’attaquant d’une manière frauduleuse à une revue savante, ils s’attaquent au processus même de diffusion des productions scientifiques.

Nous savons, comme éditeurs, qu’on peut nous tromper, mais nous préférons croire à l’honnêteté des chercheurs. Nous préférons croire que le contenu d’un article n’est pas un faux, en fait que le chercheur ne fait pas usage de faux. De même, comme Professeur, nous préférons croire que l’étudiant qui dépose sa thèse n’a pas payé un « nègre » pour l’écrire.

Comme directeur d’une revue, nous préférons croire que les données d’une recherche ont été colligées selon les règles de l’art. Nous préférons nous faire confiance. Néanmoins, nous savons bien qu’un canular peut saper cette confiance. Nous savons bien que nous pouvons être piégés. Nous savons bien que nous pouvons tomber dans un guet-apens.

Dans une revue comme la nôtre qui publie des travaux qualitatifs, quantitatifs et réflexifs, nous ne pouvons pas maîtriser toutes les écoles de pensées, toutes les disciplines des sciences de l’éducation, tous les cadres théoriques, toutes les méthodes de collecte de données. Nous faisons confiance à ceux et celles qui nous soumettent des articles.

Nous devons aussi faire confiance aux évaluateurs et croire qu’ils font un excellent travail. Notre crédibilité repose sur leurs épaules. Mais nous savons qu’ils peuvent se tromper. Nous recevons régulièrement des évaluations contradictoires : l’un encense un article et l’autre n’y trouve que des défauts. Cela survient aussi dans un jury de soutenance de doctorat.

Pour notre part, nous préférons demander l’avis d’un troisième évaluateur même si cela entraîne des délais. Malgré les avis contradictoires sur un même article, nous continuons de faire confiance aux évaluateurs. La confiance est au cœur de nos activités d’éditeur et de notre profession de chercheur. Nous ne pourrions travailler autrement que dans la confiance.

Aussi, nous savons que nos lecteurs nous font confiance parce qu’ils reconnaissent la probité de notre processus d’évaluation. Encore une fois, sans ce système de confiance réciproque, nous devrions alors fermer notre revue.

Le 2 décembre dernier, j’ai eu le sentiment que les responsables d’un séminaire sur les controverses scientifiques encensaient les deux jeunes auteurs d’un pastiche. Ils étaient heureux d’inviter ceux qui ont torpillé la vie intellectuelle d’une revue, qui cherchaient à la délégitimer, à la discréditer. Ce terrorisme intellectuel constitue un attentat contre la liberté d’expression. Ils s’en sont pris au principe de la libre publication des articles savants dans une revue sociologique. Il n’y a pas de quoi les féliciter. Bien au contraire, nous devons fortement blâmer ce type d’opération. Nous savons la fragilité de nos processus de publication, et personne n’a à nous le rappeler par un canular.

Triste évènement

En somme, j’étais venu entendre un sain débat autour d’une controverse. Au final, j’ai bien vu comment des universitaires à la morale légère peuvent volontairement créer une controverse intellectuelle (et non scientifique) dans le but d’attaquer gratuitement des personnes qu’ils n’aiment pas. Si c’est ça la vie intellectuelle, si c’est comme ça qu’on discute les productions de savoir dans un séminaire à l’Université de Montpellier, et bien, c’est plutôt décourageant.

À la fin de cette opération de salissage de la réputation d’un ami que j’admire, j’étais triste, j’étais consterné et même très malheureux. Mais je garde espoir, car je crois qu’il y a encore des intellectuels honnêtes, des chercheurs qui s’accrochent à une éthique du respect, et que ceux qui dérivent dans de basses manigances auront au moins avoir le courage de dire ouvertement les motifs de leur entreprise.

Enfin, quel exemple minable de vie intellectuelle présentent-ils aux étudiants de l’Université de Montpellier ! Chers collègues, comme on le dit souvent entre nous, revenez vite à la production et à la discussion de savoirs savants. Lorsque j’étais étudiant, la vie intellectuelle m’a fasciné et elle me fascine encore, mais j’ai toujours fui les universitaires qui attaquent vicieusement d’autres universitaires. Les Professeurs qui prenaient plaisir à dire que Nietzsche était un malade avant d’être un penseur. Je les fuyais et je les fuis encore, car je continue de penser que nous n’avons pas à être exposés à leurs obscénités.

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