N°11 / Révoltes

S’il y a une canaille révoltiste, eh bien j’en suis et heureux d’en être ! Portrait du révoltiste Miguel Abensour en démocrate insurgeant

Christophe David

Résumé

Sous le nom de «démocratie insurgeante», Miguel Abensour, porté par une relecture puissante et politique de Marx et du nouvel esprit utopique, s’inscrivant dans le sillage de la réflexion de Claude Lefort sur la «démocratie sauvage» et aux côtés de celle d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe sur la «démocratie radicale», a dessiné les contours d’une conception de la démocratie qui met la révolte – une double révolte – en son cœur.

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Par Christophe David, Maître de Conférences en esthétique et philosophie de l’art Université de Rennes 2.

« […] par sa référence à l’insurrection, [la démocratie insurgeante] met directement le cap sur la dimension politique dirigée contre l’État.

« […] l’histoire depuis la Révolution française peut se lire sous le signe de l’insurgeance »,

ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns ».

« La démocratie parlementaire est l’ennemie la plus redoutable de la vraie démocratie »,

ABENSOUR M., « Insistances démocratiques », in Vacarme.

« Qu’est-ce que c’est que ça, la politique normale ? […] Contre […] la réduction de la démocratie à l’État de droit, tel est le combat que mène la démocratie en tant qu’institution continuée du social. […] s’il y a “une canaille” révoltiste, eh bien j’en suis et heureux d’en être »,

ABENSOUR M., Lettre d’un « révoltiste » à Marcel Gauchet converti à la « politique normale ».

Dire que l’on ne sait plus où l’on en est aujourd’hui avec la démocratie, ce n’est pas sérieux ! Non, pas à une époque où l’on a à sa disposition le Democracy Index créé en 2006 par The Economist Intelligence Unit, outil qui permet d’évaluer les niveaux de démocratie des différents États et de les classer en démocraties au sens plein du terme [full democracies], démocraties imparfaites [flawed democracies], régimes hybrides [hybrid regimes] ou régimes autoritaires [authoritarian regimes]. Le dernier classement en date, celui de 2018, nous indique, comme tous les classements précédents, que le pays le plus démocratique du monde est la Norvège (avec un score de 9,87 sur 10) et le moins démocratique du monde la Corée du Nord (avec un score de 1,08 sur 10). Ce n’est pas sans un pincement au cœur que nous apprenons, au passage, que la France avec son score de 7,80 sur 10 n’est qu’une démocratie imparfaite... Peut-être est-ce parce qu’il vit dans une démocratie aussi imparfaite qu’en mars 2019 Marcel Gauchet confiait au Monde qu’« [il craignait] une anomie démocratique »[1]. Quelle démocratie sombre dans l’anomie ici ? La démocratie pensée comme un cadre politique, un régime politique et identifiée au gouvernement représentatif ou à l’État de droit. Mais est-ce pour elle qu’il faut avoir peur ? Cette démocratie n’a déjà plus de démocratie que le nom, quand elle n’est pas confondue avec la république... En revanche, il est une autre démocratie qui risque de dépérir, de s’étioler, de se banaliser et de sombrer dans ce cauchemar qu’est notre l’époque : c’est celle que Marx déjà appelait la « vraie démocratie », celle qui n’est pas pensée comme un régime politique, mais comme une forme de socialisation et, plus précisément, une forme d’institution politique du social.

Installer la démocratie dans la révolte : de Marx à Abensour en passant par Lefort

Tout commence avec une relecture de Marx. Le projet est d’arracher l’œuvre de Marx à la lecture positiviste qu’Engels a léguée à la postérité. Abensour oppose, à partir d’une lecture de la Critique du droit politique hégélien (1843), un Marx philosophe politique (s’inscrivant dans une tradition qui part de Machiavel[2], passe par Spinoza puis la Révolution française) à un Marx économiste ; il oppose un Marx penseur d’une « vraie démocratie », dont l’avènement va de pair avec la disparition de l’État, à un Marx penseur de l’État comme superstructure. La Démocratie contre l’État — titre dans lequel résonne celui du livre de Pierre Clastres, La Société contre l’État — est un livre d’une grande audace : il arrache tout simplement Marx au marxisme.

Qu’est-ce que la « vraie démocratie » selon Marx ? C’est une démocratie qui n’est pas qu’un cadre, un régime et dont l’exercice n’est pas tempéré, modéré. La démocratie en sa vérité va de pair tout simplement avec… la disparition de l’État politique. Attention, ce n’est pas d’une reformulation de la vieille thèse d’origine saint-simonienne du « dépérissement de l’État » qu’il s’agit ici, mais d’une nouvelle thèse selon laquelle la démocratie se constitue dans une lutte contre l’État et existe donc dans les brèches, les césures, les entre-deux, les intervalles qu’elle crée lorsqu’elle arrive à suspendre l’État entre le passé et l’avenir[3]. Le Marx d’Abensour appartient à la tradition communaliste[4] ou conseilliste[5] dans laquelle il se reconnaît : dans cette tradition, il inscrit (surprise !) la critique du totalitarisme d’Arendt — qui, selon lui, « plonge ses racines dans la critique du bolchévisme telle qu’elle fut formulée très tôt par la gauche allemande »[6] —, la « démocratie sauvage »[7] de Lefort — relue à la lumière du Principe d’anarchie de Schürmann[8] — puis sa propre conception de la « démocratie insurgeante »[9]. Dans sa préface à la seconde édition de La Démocratie contre l’État, il reconnaît que le Rancière de La Mésentente préserve, lui aussi, cette « intuition [politique] de Marx »[10].

Qu’est-ce que la « démocratie contre l’État » ? C’est la démocratie qui, dans un premier temps, se dresse contre l’État conçu comme forme de domination et, dans un second temps, bloque l’objectivation de cet agir insurrectionnel afin qu’il ne se transfigure pas « en forme organisatrice, unificatrice, bref en État »[11]. La « vraie démocratie » en tant que démocratie insurgeante est une double révolte, (1) une révolte contre l’État non démocratique, forme de domination qui lui préexiste, et (2) le refus de donner naissance à son tour à quelque chose comme un État, à un « État démocratique »[12]. Elle lutte « sur deux fronts ». Plus que « contre l’État », elle est donc « contre la forme État unificatrice, intégratrice organisatrice »[13]. Elle est volonté de créer une brèche, une césure, un entre deux ou un intervalle et volonté de faire que cette césure, cet entre-deux, cet intervalle dure en se prolongeant et en se déployant. En tant qu’insurrection, la démocratie est une insurrection qui se veut permanente, la création d’une « scène [de part en part] agonistique ».

Le concept est exigeant ! Et comme toujours avec les concepts exigeants, l’opinion, celle qui entend bien conjurer ce que Tocqueville appelait les « instincts sauvages » de la démocratie[14], se demande si celui-ci correspond à quelque chose[15] ? Oui, répond Abensour, la Révolution française a été un tel moment de démocratie insurgeante. On pourrait ajouter à cet exemple ceux, entre autres, de la Commune de Paris, du Soviet de Gouliaï-Polié et de l’« opposition ouvrière en URSS », de la Révolution sociale espagnole, du mouvement des Conseils ouvriers hongrois de 1956, etc[16]. La Révolution française « s’élève [donc] à la fois contre l’État d’Ancien Régime et contre le nouvel État in statu nascendi, celui qui prétend porter au pouvoir de nouveaux grands désireux de dominer à leur tour le peuple »[17]. La Révolution française est une démocratie insurgeante, et elle sert de repère à toutes les démocraties insurgeantes à venir : ce qui vaut pour la Révolution française vaut pour toute communauté politique à venir car « toute communauté politique connaît en quelque sorte une situation analogue »[18].

On peut caractériser la démocratie insurgeante spatialement et temporellement. Spatialement, elle s’installe en un lieu qui défie toute installation, elle est une césure, un entre-deux, un intervalle. Ce drôle de lieu laisse champ libre à l’agir du peuple qui est lutte, lutte sur deux fronts[19]. Le caractère agonistique de cet agir décide du sens de la temporalité de la démocratie insurgeante : « La temporalité d’une telle démocratie […] serait […] la discordance répétée, entretenue même, dans la mesure où cette lutte contre le surgissement de la forme-État viserait et préserverait la non-identité du peuple avec lui-même. Temporalité épuisante certes et d’autant plus épuisante qu’elle requiert une pratique systématique, obstinée du conflit offrant la possibilité de maintenir, mieux, de raviver la césure »[20]. Le sens de la démocratie insurgeante, c’est, pour parler en concepts arendtiens, d’éviter que l’action ne se transforme en œuvre, de faire en sorte qu’elle persévère sans son être d’action et reste vivante. On peut même caractériser la démocratie insurgeante en termes de température : elle passe par le chaud, par le froid[21]. La démocratie insurgeante, c’est la société civile re-politisée, le corps du peuple politiquement opposé à celui de l’État, une communauté politique extérieure à l’État et qui se constitue contre Lui.

Cette communauté n’est pas un social harmonieux et non-conflictuel, un social réconcilié dans son opposition à l’État. Elle demande à être pensée comme divisée et tumultueuse en renouant avec la tradition machiavélienne sensible à l’affrontement. Elle est ce que devient la scène publique à partir du moment où le démos y fait irruption. Et il n’y fait pas irruption qu’une fois. La démocratie insurgeante, c’est une lutte qui veut durer et, pour persévérer dans son être, évolue : elle est « toujours prête à rebondir en raison des obstacles rencontrés » et « s’invente en permanence ». Ce qui donne quelque chose comme une « émancipation an-archique » dans un « désordre fraternel »[22]. La démocratie selon Abensour a, est-il nécessaire de le préciser, des accents libertaires.

La révolte dans l’histoire : révolte, rupture, répétition

La Révolution française est plus qu’un exemple de démocratie insurgeante pour Abensour, elle est la démocratie insurgeante « par excellence »[23], l’événement remarquable à partir duquel il a construit ce concept. Il y a eu la Grèce, bien sûr, et Abensour de citer l’historien allemand de la démocratie Christian Meier : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, des hommes acquéraient la possibilité de décider eux-mêmes dans quel type d’ordre ils voulaient vivre »[24]. Mais la démocratie en tant qu’action luttant pour persévérer dans son être (auto-instituant) et ne pas retomber en œuvre dure ce que dure sa lutte[25]. La démocratie grecque est née, elle a « éclaté à la face du monde pendant presque trois siècles », comme dit Castoriadis[26], puis elle a été défaite. Ensuite, la démocratie est re-née puis re-re-née : « Il n’y a pas eu une seule naissance de la démocratie, mais plusieurs naissances-renaissances, plusieurs ruptures avec le cours du monde »[27]. N’existant que comme rupture, continue par ses visées mais discontinue par son mode de manifestation — tout moment d’« émergence » de la démocratie prend place entre de « longues zones grises »[28] —, la démocratie est condamnée à s’inscrire dans l’histoire sur le mode de la répétition. Elle participe d’une histoire de la liberté qui va de la démocratie grecque aux grandes révolution modernes en passant par la république romaine et les républiques italiennes du Moyen-Âge, ces moments que Saint-Just appelle les « prophéties de la liberté »[29], des prophéties dont Abensour écrit qu’elles « laissent des traces dans l’histoire destinées à être reprises et réactivées, sous d’autres noms »[30]. On ne peut s’empêcher de voir dans ces « traces » dont parle Abensour l’esprit de la parabole qu’Arendt propose dans « Qu’est-ce que la liberté ? » et qu’on a envie d’intituler, pour l’occasion, « Le Trésor perdu de la démocratie » car les démocraties, elles aussi, produisent un « trésor sans âge qui, dans les circonstances les plus diverses, apparaît brusquement, à l’improviste, et disparaît de nouveau dans d’autres conditions mystérieuses, comme s’il était une Fata Morgana »[31]. Ce trésor est fait de bric et de broc : il contient « aussi bien les grands événements que les événements mineurs, l’innombrable multiplicité des actes de résistance, de rébellion pendant des périodes dites "calmes" où l’ordre étatique paraît régner, alors qu’à consulter les archives, c’est un état permanent d’"intranquillité" qui couve »[32]. La démocratie qui couve, c’est déjà de la démocratie. Les évènements mineurs qui la constituent cognent sur le mur de l’ordre étatique pour y ouvrir une brèche. La société démocratique instituée, c’est une démocratie qui veut durer encore (et le plus longtemps possible). L’histoire des actes de résistance, de rébellion[33] et celle des sociétés démocratiques instituées — la société de la Révolution française, celle de la Commune de Paris, celle du Soviet de Gouliaï-Polié et de l’« opposition ouvrière en URSS », celle de la Révolution sociale espagnole, etc. —, l’histoire « chaotique » et « complexe » de la démocratie, c’est une mémoire des expériences démocratiques qui est réinvestissable à chaque insurrection.

La révolte et la révolution sont deux choses différentes[34]. Il y a entre elles une différence de moment (la révolte précède et ouvre éventuellement la révolution) et de projet (la révolte est l’expression du désir de liberté des dominés ; la révolution, elle, prétend tutoyer la « grande politique » — d’où son lien avec l’héroïsme). Parmi les ruptures démocratiques qui ont précédé la Révolution française, il y a eu, au commencement, la démocratie athénienne (qui, si l’on suit la logique abensourienne, a toutefois dû être précédée par des actes de rébellion, de résistance…). Abensour parle finalement peu de l’auto-institution de la cité grecque[35] mais il est important de noter qu’à la différence de nombreux auteurs, il distingue soigneusement « cité » et « État », ce qui lui permet de ne pas confondre, dans une nuit où tous les chats sont gris, démocratie antique et démocratie moderne. Ce qui l’intéresse avant tout, c’est la démocratie moderne, celle qui lutte contre l’État. Essentiellement agonistique, cette démocratie insurgeante moderne s’épuise-t-elle dans sa lutte et dans la volonté de persévérer dans cette lutte ? Dans la césure, l’entre-deux ou l’intervalle où elle s’installe, il nous semble qu’elle engendre aussi une disposition, un habitus, une hexis.

Si tout commence par une lecture de la Critique du droit politique hégélien de Marx (1843), Abensour, dans son livre sur Arendt, ajoute aussi Le Conflit des facultés de Kant (1798)[36]. Dans ce texte, Kant explique comment la Révolution française a fait naître chez ses spectateurs une « disposition morale […] pour le mieux » telle qu’au « cours de [son] histoire » l’humanité n’« oublie[ra] plus » cet événement[37]. Pour Abensour, la Révolution française relue comme une insurrection a fait naître dans l’humanité l’insurgeance, une « disposition à l’insurrection », « une disposition continue si l’on considère l’histoire de la France de 1789 à 1871 et même au-delà »[38]. Cette « disposition insurgeante » est un aspect de l’anthropologie du « révolutionnaire moderne » d’Abensour ; un autre aspect est son analyse de l’héroïsme comme Stimmung, comme climat, ton de l’époque et, du coup, comme « médium » dans lequel l’insurrection a lieu[39]. La Révolution française reste la source à laquelle les révolutionnaires modernes doivent toujours revenir car c’est là qu’une « sphère publique plébéienne » est apparue face à la sphère publique bourgeoise[40]. Y revenir, c’est, entre autres, se donner les moyens de remonter en amont de la Révolution d’octobre (qui a si vite engendré un nouvel État — et quel État !) et, en tirant le fil communaliste au lieu du fil jacobin[41], de renouer avec les origines de l’insurgeance.

Révolte logique et révolte en acte

La démocratie insurgeante s’en prend à l’objectivation constitutionnelle qu’est l’État (« […] l’État politique, à savoir la constitution », dit parfois Abensour[42]). À ce titre, elle est une « révolte logique », comme dit l’illumination rimbaldienne intitulée « Démocratie »[43], elle s’en prend à une idée. Deux cas de figure : soit elle s’en prend à l’objectivation constitutionnelle qu’est l’État avant de s’en prendre aux représentants et aux institutions de l’État et, dans ce cas, elle est révolte logique avant d’être révolte (et éventuellement révolution) en acte ; elle est révolte en théorie avant d’être révolte (et éventuellement révolution) en pratique. Soit elle s’en prend à l’objectivation constitutionnelle qu’est l’État en même temps qu’elle s’en prend aux représentants et aux institutions de l’État et, dans ce cas, on est dans quelque chose de plus spontanéiste, ce qui n’empêche pas que l’on pense, même si c’est autrement que dans un rapport de théorie à pratique. Rien n’est plus insupportable que les philistins persuadés que la révolte ne pense pas. Non seulement la révolte pense mais elle pense, bien sûr, plus loin et plus fort que les philistins. Soit elle est d’abord révolte logique puis révolte en acte, soit elle est en même temps révolte logique et révolte en acte, mais, dans un cas comme dans l’autre, elle pense.

Que visons-nous ici à travers l’expression « révolte logique » ? Une opération complexe par laquelle le démos (1) commence par réduire l’État — « Après tout, l’État ce n’est que l’État ! »[44] — et souligner que ce dernier « n’est pas le tout de la vie du peuple, l’ensemble des sphères qui constituent la vie du peuple, mais n’en est qu’un moment, […], un élément particulier »[45], puis (2) entreprend de substituer à l’expérience de l’universel qu’il suppose et impose une autre expérience de l’universel. L’État cesse alors d’être perçu comme une totalité (comme c’était la cas chez Hegel), le démos, lui, commence, en revanche, à l’être (comme c’est le cas chez Marx)...

Si, au commencement d’une révolte, il y a nécessairement un geste de réduction, l’insurrection est bien plus qu’une réduction, elle est (a) une réduction, (b) un blocage puis (c) une extension.

a) Que signifie qu’une insurrection est une réduction ? Abensour insiste à plusieurs reprises sur le sens spinozien et marxien (et non husserlien) qu’il donne au mot « réduction ». Tout comme les prophètes ne sont que des prescripteurs de morale et de bonne conduite (Spinoza), l’État n’est qu’un moment de la vie du peuple (Marx). « Grâce à la réduction, la vraie démocratie parvient à une sursomption correcte entre la partie et le tout »[46] : en français courant, elle remet l’État à sa place. L’État réduit n’est plus une totalité mais une partie d’une totalité, une partie de « la vie du démos total » en l’occurrence[47]. On assiste à une extension du domaine de la vie politique et du sens de celle-ci. En remettant l’État à sa place, l’insurrection ouvre un espace permettant à d’autres éléments politiques d’émerger à côté de l’État, voire face à Lui.

b) Remettre l’État à sa place, c’est un bon début. Encore faut-il veiller à ce qu’il y reste. Commentant Marx, Abensour pose l’existence, face à la révolte, d’une « impulsion » à récréer une forme organisatrice et unificatrice, à reprendre une partie pour le tout, bref à faire revenir de l’État. Cette impulsion, il faut la bloquer. Ce blocage n’est pas que négatif, il « rend possible une diffusion de l’activité instituante, de l’institution démocratique du social »[48].

c) Face à l’« impulsion » étatique centripète à totaliser, cette « énergie instituante » démocratique, fluide et centrifuge peut gagner, « imprégner, irriguer les sphères non politiques au point d’y laisser apparaître précisément la marque, la nature de la vraie démocratie, c’est-à-dire la non-domination, tout en tenant compte de la spécificité de chaque sphère »[49]. L’extension excède la réduction de toutes parts, sa logique est celle du débord, de la crue. En parlant de la démocratie insurgeante comme un débord, une crue, Abensour reprend l’une des images que l’on trouve chez le Michelet de l’Histoire de la Révolution française lorsqu’il décrit le peuple « à l’état héroïque ».

Le blocage de l’impulsion étatique permet l’extension de l’« activité instituante » démocratique. Ce que sauve ici Abensour, en jouant la démocratie contre l’État et faisant du « démos total » (Marx) le vrai Sujet politique, c’est carrément la politique elle-même. Il arrache la politique à l’État et la rend au peuple. La révolte ouvre une autre expérience de l’universel que celle de l’État. Kant désignait le recentrement du questionnement métaphysique sur le sujet qui caractérise le criticisme du nom de « révolution copernicienne »[50] ; par analogie, on pourrait désigner le recentrement de l’activité politique sur le démos qui caractérise l’approche de la politique par le jeune Marx de « révolte marxienne ». Il est important d’insister ici sur l’idée que cette révolte marxienne qui pourrait aboutir à une sortie de la politique travaille en fait à la sauver. Elle affirme qu’« il peut y avoir politique sans qu’il y ait État »[51].

Cette politique est différenciée — « La question énoncée par la politique connaît une résonance, une réponse ou encore une traduction spécifique dans chacune des sphères de l’existence du peuple »[52] — et, en tant qu’énergie ou activité instituante, elle engendre des institutions. S’inscrivant dans une famille de penseurs allant de Saint-Just[53] à Deleuze[54] en passant par Marx[55], Abensour joue l’institution contre l’État. Il refuse de sortir de la politique et travaille à articuler démocratie insurgeante et institution. S’il ne peut y avoir d’État démocratique à ses yeux, il peut et doit y avoir des institutions démocratiques et émancipatrices. Un fait-limite sur lequel il aime à insister, c’est l’institution d’un droit à l’insurrection par la Constitution de l’an III (1793). La vraie différence n’est pas entre (1) des institutions étatiques ou pas d’institutions du tout mais entre (2) des institutions étatiques au service de la domination ou des institutions démocratiques au service de l’émancipation. On est là dans une approche qui oppose l’institution (l’imagination politique au service de l’émancipation) à la loi (la volonté engendrant un cadre politique).

Utopinaliser la démocratie insurgeante et faire de l’utopie une démocratie insurgeante

Le caractère anticipateur et imaginatif de la démocratie insurgeante se développant dans la dimension de l’institution plus que dans celui de la loi semble apparenter celle-ci à l’utopie. En tant que forme d’institution politique du social, la démocratie insurgeante cherche à « élaborer de la façon la plus féconde et la plus paradoxale un tumulte nouveau qui soit une invention de la politique toujours renouvelée, au-delà de l’État, voire contre lui »[56]. Du coup, il ne faut pas s’étonner que les ennemis de la démocratie insurgeante soient souvent aussi des ennemis de l’utopie. Leur identification de la démocratie à l’État de droit débouche sur un nécessaire oubli de la démocratie : « Qui choisit la démocratie délaisse l’utopie. »

Ce que cherche à organiser Abensour, ce sont « les noces de l’utopie et de la démocratie ». Il cherche à féconder l’une par l’autre parce que ce sont deux impulsions de la rencontre desquelles le « mouvement émancipateur moderne » s’est nourri. En-même temps, démocratiser l’utopie et utopinaliser la démocratie, c’est sauver et la démocratie et l’utopie aujourd’hui, dans une époque qui hait aussi sûrement l’une que l’autre et pense la démocratie comme nécessairement bourgeoise et l’utopie comme foncièrement totalitaire.

Le nouvel esprit utopique, de 1848 à nos jours, a permis de repenser l’utopie à nouveaux frais et de la « purger » de « l’image ou [du] mythe de la société réconciliée, [de la bonne société qui, ayant surmonté ses conflits, serait transparente à elle-même], de la bonne société en pleine harmonie avec elle-même, qui appartient incontestablement à la généalogie du totalitarisme »[57]. Ainsi démythologisée et replacée sous le signe de la non-réconciliation de soi avec soi, de la non-coïncidence de soi à soi, de l’écart absolu il devient possible de rapprocher l’utopie de la démocratie conçue comme sauvage ou insurgeante.

Un penseur de l’utopie comme démocratie est Pierre Leroux, auteur cher à Abensour. Leroux a interprété l’utopie à travers la constellation post-révolutionnaire Saint-Simon, Fourier, Owen « comme répondant à une impulsion foncièrement démocratique »[58]. Penseurs de l’association, ils participent d’une révolte logique qui entend substituer à l’ancien modèle hiérarchique une « nouvelle forme de lien social » basé sur l’attraction qui « tend à abolir la relation commandement/obéissance et, du même coup, les phénomènes de domination »[59]. « À l’instar de la démocratie, l’attraction repose sur une expérience d’humanité, la reconnaissance du semblable par le semblable ». Le geste de Leroux va consister à sonner le glas des « législateurs-rédempteurs » et des « législateurs-messies », à affirmer que « le législateur ne peut plus être que collectif, pluriel, bref une Convention »[60]. Reconnaissant l’existence de l’opinion publique, la naissance d’un espace public, la légitimité du gouvernement représentatif, il va dans le sens d’une synthèse et vise à « conjuguer » l’impulsion utopique et la tradition démocratique moderne. Il donne à l’attraction la forme de l’amitié, lien qui se noue tout en préservant la séparation entre les membres de la communauté ».

En partant d’une nouvelle analyse du concept de démocratie sauvage proposé par Lefort[61], Abensour en vient à poser qu’« utopie et démocratie ont en commun un rapport à l’humain »[62]. On n’est plus dans la synthèse de deux choses différentes mais dans la recherche de points communs à deux choses cherchant à réduire la différence entre elles. Là, Abensour convoque deux penseurs de l’utopie qui ont « [réorienté] l’utopie vers le domaine qui est le sien, celui de l’humain » : Buber et Levinas[63]. La substance de l’utopie, c’est le lien inter-humain tel que la rencontre l’engendre. Celle de la démocratie, c’est la mise en forme de la division du social dans le champ politique. L’objectif d’Abensour n’est pas de démontrer qu’utopie et démocratie se confondent, ni qu’elle se complètent : « Le temps des synthèses est passé »[64].

L’intrigue éthique et l’intrigue politique et sociale (dont l’enjeu est une fondation politique du social) se croisent, s’enchevêtrent, c’est sûr, mais que peut-on faire de plus que constater qu’« [elles] travaillent l’une et l’autre à renforcer le mouvement de [la] société vers une multiplicité, vers un pluralisme qui ne s’abolit pas en unité »[65].

À cette affinité, Abensour en ajoute une autre : la démocratie — « démesure du désir de liberté toujours susceptible d’engendrer un désordre nouveau, de creuser un non-lieu » — et l’utopie — « productrice [excentrique] d’un autre non-lieu, ou d’un non-lieu autre » — dé-localisent l’humain « pour nous ramener à l’humain »[66].

Si cette étude s’ouvrait sur les craintes de Marcel Gauchet quant à une possible anomie de la démocratie, les écrits de Miguel Abensour sur la démocratie insurgeante nous font partager une toute autre humeur. Penser la démocratie comme révolte, comme insurrection et assumer politiquement et philosophiquement le geste de la révolte, de l’insurrection, le style d’Abensour — et l’homme n’en manquait pas… — nous remplit tout simplement d’enthousiasme.

Placer la révolte, l’insurrection au centre de la vie politique, c’est l’arracher au paradigme spontanéiste auquel les révolutionnaires de profession l’ont condamnée, en faire le cœur de la démocratie et faire de la « césure », de l’« entre-deux », de l’« intervalle » pendant laquelle la démocratie lutte contre la forme État — celle de l’ancien État qu’elle a renversé et la forme du nouvel État qui menace de se constituer à l’horizon de l’histoire — le vrai lieu de la vie politique.

Pour Miguel Abensour, cette révolte qu’est la démocratie est, avec l’utopie, l’un des deux foyers à partir desquels se déploie la vie politique. Si la révolte appartient à l’esprit de notre temps, si la tendance à l’insurgeance s’y affirme, ce temps abrite aussi l’une des plus belles et des plus cohérentes approches philosophiques de la révolte. Car ce n’est pas une politesse de dire que Miguel Abensour a réactualisé la question de la révolte. Il lui a donné une forme théorique actuelle et s’est révélé, ce faisant, être un philosophe de son temps sans pour autant lui faire la moindre concession.

Il se pourrait bien que l’acceptation de cette philosophie de la révolte, de l’insurrection décide de la distinction entre un abensourisme académique, et un abensourisme canaille et révoltiste. S’il existe un abensourisme canaille et révoltiste, eh bien j’en suis et heureux d’en être.

Bibliographie

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–, Le Conflit des facultés et autres textes sur la Révolution, Paris, Payot, 2015.

LACLAU E. et MOUFFE C., Hégémonie et stratégie socialiste : vers une politique démocratique radicale, Besançon, Les Solitaires intempestifs, 2009.

LEFORT C., « préface », in Éléments d’une critique de la bureaucratie, Paris, Gallimard 1979.

NICOLAS J., La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, Seuil, 2002.

RIMBAUD A., « Démocratie », in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 2009.

TOCQUEVILLE A. de, De la démocratie en Amérique, tome I, « Introduction », Paris, Pagnerre Éditions, 1848.

 

[1] GAUCHET M., « Je crains une anomie démocratique », Le Monde, le 11 mars 2019. Ce n’est pas un hasard si Marcel Gauchet figure ici. Abensour lui a écrit une lettre ouverte en 2004 (Lettre d’un « révoltiste » à Marcel Gauchet converti à la politique normale, Paris, Sens & Tonka, 2005) dont la pomme de discorde est le lien de la révolte et de la révolution à la démocratie.

[2] Machiavel en tant que penseur du conflit et, précisément, d’un conflit où il y va de la domination et de son refus.

[3] Si ce motif militaire de la brèche a des accents « trotskystes », Abensour n’a bien sûr absolument rien à voir avec le « trotskysme ». Il gagnerait, dans son cas, à être rapproché du « gap » arendtien (voir « La Brèche entre le passé et l’avenir » [The Gap between Past and Future], in La Crise de la culture, Paris, Galimard, 1972, pp. 11-27), « gap » qui, lui-même, se nourrit de toute une tradition de penseurs de la révolution qui remonte, au moins, au Schiller des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1795).

[4] De Marx sur la Commune, voir La Guerre civile en France (1871).

[5] Aux noms d’Arendt et Lefort, on peut ajouter celui de Castoriadis, figure importante pour Abensour. Sur les traditions communaliste et conseilliste de la pensée politique, voir Yohan Dubigeon, La Démocratie des conseils, « Critique de la politique », Paris, Klincksieck, 2017.

[6] ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », Paris, Les belles lettres, 2014, p. 161.

[7] Le texte fondamental de Lefort sur la démocratie sauvage est la « préface » à la réédition des Éléments d’une critique de la bureaucratie parue chez Gallimard en 1979. Sur la démocratie sauvage, voir les articles d’Antoine Chollet, Arthur Guichoux, Pierre Manent et Olivier Mongin dans Esprit, n° 451/ janvier-février 2019, [en ligne].

[8] ABENSOUR M., « Démocratie sauvage et principe d’anarchie », in Pour une philosophie politique critique, Paris, Sens & Tonka, 2009, pp. 319-348.

[9] Ce qui réunit aussi ces auteurs — Marx (tel qu’Abensour le lit à la suite de POCOCK J. G. A., The Machiavellian Moment Florentine Political Thought and the Atlantic Republican Tradition, Princeton, Princeton University Press, 1975).

[10] ABENSOUR M., « De la démocratie insurgeante », in La Démocratie contre l’État, Paris, Éditions du Félin, 2004, p. 10. 

[11] Idem, p. 8.

[12] Pour Abensour, l’expression « État démocratique » est une « contradiction dans les termes » : « La démocratie est anti-étatique ou elle n’est pas », un « oxymore » (voir « Insistances démocratiques. Entretien avec ABENSOUR M, NANCY J-L. et RANCIERE J., in Vacarme, été 2009, n°48, p. 13). En revanche, Jean-Luc Nancy n’y voit pas d’oxymore. Si Abensour se reconnaît proche de Rancière, force est de reconnaître que Nancy campe sur des positions proches de celles de Gauchet.

[13] ABENSOUR M., « De la démocratie insurgeante », Démocratie contre l'État, op.  cit., p. 8.

[14] TOCQUEVILLE A., De la démocratie en Amérique, tome I, « Introduction », Paris, Pagnerre Éditions, 1848, p. 10.

[15] Cette question, Platon la règle, à la toute fin du livre IX de la République, en disant qu’il n’y a peut-être pas, dans la réalité, d’État correspondant au concept exigeant d’État que Socrate a construit (592 a).

[16] ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p.138.

[17] ABENSOUR M., « De la démocratie insurgeante », Démocratie contre l'État, op.  cit., p. 11.

[18] Ibidem.

[19] Idem, p. 12.

[20] Ibidem.

[21] Il reste à écrire une histoire des approches de la politique en termes de température qui irait de Saint-Just à Oskar Negt.

[22] ABENSOUR M., « Insistances démocratiques… », op.  cit., pp. 11 et suiv.

[23] ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 134.

[24] MEIER C., Introduction à l’anthropologie politique de l’Antiquité classique, Paris, PUF, 1984, p. 30. 

[25] La démocratie insurgeante étant une forme d’action politique, la comparaison de sa durée avec celle des performing arts que l’on trouve chez Arendt reste valide. Voir ARENDT H., « Qu’est-ce que la liberté ? », in La Crise de la culture, op.  cit., p. 199 et suiv.

[26] CASTORIADIS C., Ce qui fait la Grèce. 1. D’Homère à Héraclite, Paris, Seuil, 2004, p. 286. (Cité par Abensour in Hannah Arendt contre la philosophie politique ?, Paris, Sens & Tonka, 2006, p. 109). 

[27] ABENSOUR M., « Insistances démocratiques… », op.  cit., p. 9.

[28] Idem, p. 14.

[29] Schiller déjà pensait que les modernes devaient répéter le « miracle grec » en prenant les Grecs comme modèles (voir SCHILLER F. von, Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, lettre 6).

[30] ABENSOUR M., « Insistances démocratiques… », op.  cit., p. 15.

[31] ARENDT H., « La Brèche entre le passé et le futur », in Critique de la culture, op.  cit., p. 13.

[32] ABENSOUR M., « Insistances démocratiques… », op.  cit., p. 15.

[33] Nicolas J, La Rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, Seuil, 2002. (Cité par Abensour dans « Insistances démocratiques… », op.  cit., p.15).

[34] Un livre qui aborde frontalement la question est Spartakus. Symbolique de la révolte, de Furio Jesi (Bordeaux, Éditions de la Tempête, 2016). Sur ce point nous nous permettons de renvoyer à David C., « Révolte, révolution et temps. L’insurrection spartakiste vue par Furio Jesi », à paraître in Flipo F. (Dir.), Émancipation et révolution, Paris, Presses des Mines, 2020.

[35] On trouvera une lecture intéressante de la cité démocratique grecque antique (à la différence d’« État démocratique », « cité démocratique »  n’est pas un oxymore…) en termes arendtiens dans ABENSOUR M., Hannah Arendt contre la philosophie politique ?, op.  cit., p. 109 et p. 141. 

[36] Abensour a édité ce texte de Kant dans une traduction et une présentation de Christian Ferrié. Voir KANT E., Le Conflit des facultés et autres textes sur la Révolution, « Critique de la politique », Paris, Payot, 2015. 

[37] KANT E., Le Conflit des facultés et autres textes sur la Révolution, op.  cit.

[38] ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 134.

[39] ABENSOUR M., Le Cœur de Brutus, Paris, Sens & Tonka, 2019 p. 286.

[40] C’est ce que montre Oskar Negt dans L’Espace public oppositionnel (« Critique de la politique », Payot, Paris, 2007). On peut revenir plus loin, comme Pierre-Simon Ballanche. Voir BALLANCHE P-S., La première sécession de la plèbe, Rennes, Pontcerq, 2017.

[41] Abensour arrive à parler d’une tradition « jacobine-léniniste » et à évoquer le spectre d’un « néo-bolchévisme » (voir ABENSOUR M., « Insistances démocratiques… », op.  cit., p. 16). Sur la continuité entre le jacobinisme et le léninisme, voir ses commentaires sur La Révolution des saints de Michael Walzer in Le Cœur de Brutus, op.  cit., pp. 198-204.

[42] Voir, par exemple, ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 125.

[43] RIMBAUD A., « Démocratie », in Œuvres complètes, Gallimard, Paris, La Pléiade, 2009, p. 314.

[44] Abensour compare ce « ne… que… » à celui de Spinoza (voir La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 125). Abensour joue ici Spinoza contre Hegel. Sur Abensour et Spinoza, nous nous permettons de renvoyer à David C., « Le Pour-Spinoza de Miguel Abensour », in Miguel Abensour. La Sommation utopique, Lignes, n°56/2018, pp. 115-127.

[45] ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 125. La démocratie insurgeante est fondamentalement anti-hégélienne. Pour être plus précis : elle fait sien l’anti-hégélianisme du jeune Marx de 1842 et se règle sur lui (voir ABENSOUR M., Démocratie contre l'État, Op.  cit., chapitre IV).

[46] ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 126.

[47] Ibidem.

[48] Idem, p. 127.

[49] Ibidem.

[50] KANT, seconde préface à la Critique de la raison pure (1787).

[51] ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 130.

[52] Idem, p. 131.

[53] Sur Saint-Just et le concept d’institution (Institutions républicaines, 1793-1794), voir ABENSOUR M., « la théorie des institutions et les relations du législateur au peuple » (1968), in Le Cœur de Brutus, op.  cit., pp.79-136.

[54] Sur Deleuze et le concept d’institution (Présentation de Sacher-Masoch. Le Froid et le cruel, 1967), voir ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 142 et suiv. et p.146 et suiv.

[55] Outre Saint-Just, Marx et Deleuze, cette famille contient « […] Babeuf, […] le juriste Maurice Hauriou, théoricien du droit social, Maurice Merleau-Ponty […] » (ABENSOUR M., La Communauté politique des « tous uns », op.  cit., p. 141).

[56] ABENSOUR M., « Utopie et démocratie », in Pour une philosophie politique critique, Paris, Sens & Tonka, 2009, p. 356. 

[57] Idem, p. 351 et suiv.

[58] Idem, p. 354.

[59] Ibidem.

[60] Ibidem.

[61] Nouvelle analyse, car, depuis son article de 1994, « "Démocratie sauvage" et "principe d’anarchie" » (in ABENSOUR M., Pour une philosophie politique critique, op.  cit., pp. 319-348), il revient régulièrement au concept de démocratie sauvage de Lefort pour définir son propre concept de démocratie insurgeante.

[62] ABENSOUR M., Pour une philosophie politique critique, op.  cit., p. 358.

[63] Sur la lecture abensourienne de Levinas comme penseur de l’utopie, voir ABENSOUR M., LEVINAS E., l’intrigue de l’humain. Entre métaphysique et politique, Paris, Hermann, 2012, chapitres II et III.

[64] ABENSOUR M., Pour une philosophie politique critique, op.  cit., p. 360.

[65] Idem, p. 361.

[66] Idem, p. 362.

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