N°11 / Révoltes

Impact du régime de la vérité liquide et économie de l’opinion au sein des mouvements sociaux contemporains. L’exemple du mouvement des Gilets Jaunes

Benjamin Lalbat

Résumé

«Ne parlez pas de "répression" ou de "violences policières", ces mots sont inacceptables dans un État de droit. [...] Vous me parlez de répression, je vous dis que c'est faux», Emmanuel Macron, le 07 mars 2019, Gréoux-les-Bains. 

Cette formule provocatrice d'E. Macron, interpelle. Si elle se doit d'être replacée dans le contexte où elle est prononcée - presque quatre mois après le début du mouvement social des Gilets Jaunes - elle questionne notamment sur les choix en matière de communication ainsi que le rapport entre la vérité et le pouvoir en place en période de mouvement social. En effet, à la date où elle est prononcée, 483 cas de violences policières sont recensés, dont 202 blessures à la tête, 21 personnes énuclées, 5 mains arrachées et un homicide.

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Par Benjamin Lalbat, historien.

Ces statistiques connues, détaillées et documentées n’ont pas empêché l’appareil communicationnel de l’Élysée d’assumer médiatiquement l’inexistence des violences policières. Le but est avant tout de démontrer le soutien indéfectible du chef de l’État aux forces de l’ordre chargées d’appliquer le monopole de la violence légitime. Légitimité qui, lorsqu’elle remise en cause comme dans le cas de ce mouvement social, se doit donc d’être réaffirmée en premier lieu dans le langage utilisé. Mais dans ce cas précis, un choix de communication politique plus classique aurait consisté à assumer le « monopole de la violence légitime »[1] en défendant le recours nécessaire à la violence policière dans le cadre du maintien de l’ordre. C’est ce qui par exemple avait été le cas lors de mouvements sociaux en France en 2005, 2010 ou 2016. Plutôt que de s’arrêter à ce type de rhétorique, l’Élysée a décidé comme stratégie de communication d’user de la négation pure et simple des faits. Au-delà de cette dimension de l’ordre de la stratégie politique, cette formule permet donc de nous interroger sur la place actuelle des faits et de la vérité au sein de nos sociétés et plus particulièrement lors des mouvements sociaux. 

Si la phrase d’E. Macron est la plus médiatiquement visible, ces normes de communication basées sur la propagation d’interprétations tronquées, d’infox ou de « faits alternatifs » peuvent se retrouver sur l’ensemble des niveaux de la société et semble être caractéristique de la « société liquide »[2]. Lorsque Zygmun Bauman utilise cette métaphore pour définir la société actuelle, il souligne le processus de désorganisation progressif de l’ensemble des sphères de la vie sociale notamment celles de la culture, de l’amour et du travail. À partir des années 1970, le travail et avec lui l’ensemble des relations sociales, devient progressivement plus mobile, mais aussi plus précaire. Contraint par l’évolution économique, il n’est alors plus possible de rester toute sa vie dans une même entreprise et de construire son réseau amical et social sur cette base. La mobilité forcée s’impose : changer de travail, de ville, changer d’amitiés. La liquidité devient alors la norme pour l’ensemble des relations sociales et la fluidité une qualité à laquelle chacun doit tendre. Dans cette société précaire, l’attitude la plus rationnelle et efficace passe alors par le fait d’être le plus désengagé possible. À la fois pour se préserver soi-même en cas de rupture de lien, mais aussi, si une opportunité se présente, pour être suffisamment flexible pour pouvoir la saisir.

Mais en devenant une qualité attendue chez chaque individu, la liquidité devient également une opportunité commerciale et permet l’émergence de nouveaux marchés. La solidité passée des structures sociales limitait les opportunités pour la marchandise de pénétrer l’ensemble des rapports sociaux. À l’inverse, la société liquide moderne la rend indispensable comme médiation entre les individus de plus en plus isolés. Les sites de recherche d’emploi, de rencontre et les réseaux sociaux numériques viennent combler par des marchés les trous béants entre les individus créés par l’avancée de la liquidité. Car c’est de cela dont il est question : la société liquide moderne est avant tout la forme que prend la société qui voit la marchandise pénétrer l’ensemble des relations sociales. Bien évidemment, ce contexte économique et social n’épargne pas les structures de pensée et de discours.

La « faiblesse actuelle du vrai », pour reprendre l’expression de M. Revault d’Allonnes pour caractériser cette période dominée par la post-vérité, se doit donc d’être interrogée dans ce contexte de société liquide. En effet, si la multiplication de Fakenews et autres « faits alternatifs » peut être déstabilisante, elle n’est rien d’autre qu’une transposition de la liquidité sociale à la manière de penser et d’appréhender le monde. On pourrait parler d’avènement de la « vérité liquide ». Plus que la « vérité de raisonnement » (Leibniz, Hume) c’est-à-dire la vérité scientifique, c’est principalement la « vérité de fait »[3] qui se retrouve ainsi mis en cause par cette crise. Pour étudier cette influence de la société liquide sur la perception de la vérité de fait, il est nécessaire de revenir sur la notion même de vérité et son caractère historique, pour ensuite insister sur son utilité économique. Nous rentrerons ensuite dans le détail du fonctionnement de cette vérité liquide en étudiant l’exemple concret du mouvement social des Gilets Jaunes et notamment des modalités de propagation sur les réseaux sociaux numériques des infox sur le pacte de Marrakech et d’Aix-la Chapelle diffusés fin 2018.

Bref retour philosophique sur la notion de vérité

Pour analyser sur des bases saines ce problème que pose l’existence d’une vérité liquide, il est nécessaire de « prendre les choses par la racine »[4]. En premier lieu, il s’agit de définir brièvement ce que l’on entend philosophiquement par vérité et de rendre accessible ce texte aux non-philosophes.

Dans le sens le plus restrictif du terme, il s’agit de l’accord du discours humain avec une réalité (Aristote). La notion de vérité ne fait pas seulement référence à des faits, mais à une manière de les décrire. S’il pleut dehors c’est un fait, si alors je dis qu’il pleut c’est une vérité. La différence est importante, car cela implique un discours et donc une certaine confiance en la personne qui énonce cette vérité. Si la personne qui énonce ce discours a déjà menti à plusieurs reprises, il y a moins de chance qu’elle soit crue et que la personne en question veuille vérifier par elle-même. Parce qu’elle est un discours, la vérité est donc également un pouvoir.

Ensuite, pour définir la vérité, il est nécessaire que ce discours ait une portée universelle. On ne cherche pas seulement à dire SA vérité, mais LA vérité. En effet, lorsque l’on dit qu’il pleut, on affirme qu’il pleut également pour l’ensemble des gens qui sont à côté. Cette perception subjective de la pluie est une vérité pour toutes les personnes présentes. Si le sentiment de l’existence d’un « commun » périclite, alors l’idée de l’existence de la vérité également. En effet, il est possible d’affirmer pour tous qu’il pleut uniquement si l’ensemble des personnes est en accord sur le concept de « pluie » et de ses limites. Ces différentes interprétations peuvent être plus ou moins socialement acceptables selon la marge laissée par les structures d’autorité. Une société valorisant la nécessité de respecter les opinions particulières de chacun sera plus encline à accepter l’existence d’interprétations alternatives de la vérité. Affirmer qu’il bruine, qu’il grésille voire même qu’il fait beau temps malgré le fait de recevoir des gouttes de pluie n’y sera pas sortir de la norme. En revanche, dans une société où la météo du journal d’État fait autorité, affirmer ce genre de chose peut alors être de nature à être considéré comme déviant, subversif ou fou.

Quand bien même la vérité de fait ne peut être qu’une car elle correspond par définition à une réalité – à savoir une articulation plus ou moins complexe de faits – cet exemple sert avant tout à démontrer que les types de discours se présentant comme « vérité » ne sont donc pas indépendants des conditions dans lesquels ils sont présentés. La vérité n’est pas une notion monolithique traversant l’Histoire sans être influencée par l’époque où elle se situe. En ce sens, on peut considérer qu’il existe différents « régimes de vérité »[5] selon les périodes historiques et sociales.

Mais affirmer l’existence de différents « régimes de vérité » n’implique pas d’en finir avec la distinction entre le vrai et le faux. Cela signifie seulement qu’il est nécessaire de prendre en compte « les conditions de production de la vérité »[6] pour voir la limite du discours sous-jacent et le texte caché qui peut s’y trouver[7]. Quel que soit le régime de vérité, un mensonge volontaire peut être pris pour vrai par une majorité d’individus sans que cela change la réalité des faits, seulement leur perception sociale. Si la vérité reste une formulation « particulière » de la réalité, elle reste nécessairement une description de la réalité. En effet, la personne qui énonce une vérité peut changer la manière dont celle-ci est énoncée, mais pas les faits eux-mêmes. 

Le rapport entre vérité et opinions

C’est la principale différence avec l’opinion qui est avant tout un sentiment. Ce n’est qu’un avis émis par un individu sur un sujet. Peu importe que cette opinion soit en relation avec la réalité ou non, ce qui est mis en avant c’est la personne qui l’émet. La base de l’opinion n’est pas la réalité, mais la subjectivité de la personne qui l’énonce. Cette opinion peut être vraie, mais si tel est le cas, celui qui porte cette opinion est incapable d’en prouver la raison. Dans son rapport aux autres, partager une vérité a pour but de convaincre un autre de son existence en présentant un discours sur des faits ou sur un raisonnement. Par contre, une opinion n’a pas pour but de convaincre, mais de persuader l’autre du bien-fondé de cette opinion. Contrairement à la vérité, l’opinion ne se discute pas, elle s’impose. Pour convaincre, la première va mettre en avant un raisonnement, une analyse et des preuves. La seconde pour persuader va par la rhétorique faire appel à des sentiments, des émotions et aux valeurs de chacun (Platon).

Lorsqu’une vérité est énoncée et étayée par des preuves, que l’on apprécie ou pas la personne qui la prononce ne change rien à la réalité. Par contre, une opinion n’est autre qu'un jugement personnel qui n’implique rien d’autre que la position de la personne qui l’énonce et de celles qui l’écoutent. On peut trouver cette opinion juste ou fausse, mais cette justesse est déterminée en fonction de ses propres sentiments et systèmes de valeurs. L’avantage de l’opinion par rapport à la vérité reste son impact. En effet, elle va s’appuyer sur l’émotion et le ressenti pour susciter la compréhension et la réaction, là où la vérité ne peut que s’appuyer sur la présentation de faits réels et donc moins émotionnels. Il est donc logique  d’être plus attirés de prime abord par des opinions que par l’analyse rationnelle et méthodique des faits.

Économie des opinions au sein de la société

Au sein de la société liquide, l’opinion à cet avantage notable sur la vérité d’être beaucoup plus fluide et malléable. Il est facile de changer d’opinion, pas de vérité. La vérité est engageante et implique de savoir la défendre, de pouvoir discuter autour d’une analyse des faits ainsi que de savoir la transmettre pour convaincre. Dans le cas de l’opinion, la conviction personnelle se suffit à elle-même, elle n’a pas besoin d’être pensée, juste affirmée : « c’est mon opinion ». Jean-François Lyotard  affirmait que « dans un univers ou le succès est de gagner du temps, penser n’a qu’un seul défaut, mais incorrigible : en faire perdre »[8] défaut partagé par la vérité contrairement à l’opinion.

Formes du marché de l’opinion

Plus encore, il existe une multiplicité d’opinions sur un même sujet, alors que la vérité est beaucoup plus restrictive. En effet, si la vérité dépend de la personne qui l’énonce dans sa forme, elle ne diffère pas dans son fond. Les faits établis ne changeant pas d’un discours à l’autre, la particularité ne peut se faire que dans la présentation, l’interprétation et l’analyse des faits permettant de mener à une vérité. Les opinions, quant à elles, se construisent à partir de la subjectivité, elles peuvent donc être multiples, diverses et plus facilement échangeables. Si le marché de la vérité est limité, celui des opinions est beaucoup plus vaste. L’enjeu se trouve principalement ici, dans cette possibilité de transformer l’opinion en marchandise. Si l’avènement de la société liquide donne un espace social de plus en plus important aux opinions, c’est notamment grâce à l’importance économique qu’elles prennent. Cette place est visible économiquement sous deux formes principales :

  • Celle qui consiste à utiliser une opinion vis-à-vis d’une marchandise dans le but de faciliter sa vente. L’opinion sert à faciliter la « réalisation » de la valeur d’une marchandise. Elle joue là un rôle de valorisation.
  • Celle où l’opinion devient elle-même une marchandise produite qui se vend sur le marché.

Bien qu’elles ne se limitent pas à ce domaine, ces deux formes différentes sont particulièrement visibles dans le cadre de l’économie numérique. Nous insistons donc sur ce domaine, notamment à cause de l’importance qu’il a pu prendre dans le cadre des mouvements sociaux contemporains et dans notre cas d’étude.

Pour la première forme, l’opinion se marchandise sous forme de réputation. Par exemple, un commentaire en ligne donnant son avis sur un objet, sur la qualité d’un restaurant ou sur le travail d’un chauffeur VTC, produit une importante valorisation et devient même une condition sine qua non à la réalisation de la valeur. La société liquide est également la société de la notation[9] (Gori, 2013). Sans évaluation au préalable, la vente ne se fait pas. L’enjeu économique dépasse largement le simple retour client ou le questionnaire de satisfaction. Sur internet, l’avis client et l’E-réputation sont devenus un secteur économique à part entière brassant les milliards d’euros. Dans une comparaison entre entreprises concurrentes et équivalentes, l’opinion est la marchandise valorisante permettant à un acteur économique d’être choisi et de se vendre par rapport à la concurrence. 

Pour la seconde forme, la société liquide, en précarisant l’ensemble des liens sociaux et en les transformant en biens de consommation, a également progressivement imposé la transformation des personnalités en biens de consommation. L’atomisation sociale a contraint à mettre en scène sa personnalité fictive pour la rendre digne d’intérêt. Le travail de création et d’entretien des profils individuels sur les réseaux sociaux numériques en est la partie la plus visible. La personnalité virtuelle y devient une sorte d’entreprise dont la valeur du capital est déterminée par le nombre de Followers ou d’amis virtuels. Les marchandises produites par ces entreprises individuelles ne sont rien d’autre que des opinions dont la qualité est déterminée par le nombre de Likes ou de Retweets. 

Mais une forme particulière n’en exclut pas une autre, tout dépend du référentiel. Par exemple une entreprise d’E-réputation va vendre à une autre entreprise des avis clients permettant d’améliorer l’opinion des personnes cherchant la seconde entreprise dans un moteur de recherche. Pour la première entreprise, l’opinion qu’elle crée est la marchandise qu’elle vend à son client. Pour la seconde entreprise, les avis clients qu’elle achète sont des opinions/marchandises permettant de valoriser les marchandises qu’elle produit par ailleurs.

Ces deux formes sont loin d’être nouvelles, mais la société liquide voit leur essor dans tous les aspects de la vie sociale précarisée. Au sein des sociétés capitalistes « solides », le lobbyisme ou certaines campagnes de publicité pouvaient déjà être chargés d’entretenir un flou entre opinion et « vérité de fait » pour aider la réputation de certains produits et faciliter la vente de marchandises. Mais ces pratiques restaient limitées à des secteurs sociaux particuliers. Dans la société liquide, où chaque individu devient à la fois capital et marchandise qui doit se vendre, il est attendu que chacun génère et soit la cible d’opinions. Si chacun est producteur et vendeur d’opinions, même à petite échelle, alors chacun a intérêt à ce que ces opinions soient valorisées, et ce, même si c’est au détriment de la vérité.

Détermination de la qualité d’une opinion

Pour être échangée, une marchandise a besoin d’être comparable à l’ensemble des autres marchandises. Pour cela il est nécessaire de la quantifier[10] et que cette quantification soit reconnue socialement. Pour les quantifier, il est dès lors indispensable de délimiter les produits. Lorsqu’il s’agit d’une marchandise physique la délimiter est plus évident que pour une marchandise immatérielle. Une tasse à une présence délimitée dans l’espace qu’une opinion n’a pas. Cette dernière ne peut être reconnue comme marchandise que lorsqu’elle se transforme en produit délimitable qui devient alors quantifiable. Cette réalité s’incarne par exemple dans la transformation d’une analyse (opinion ou vérité) dans une publication universitaire, une intervention sur un plateau télé ou un avis client par exemple.  

À partir du moment où elle est délimitée, pour pouvoir échanger cette marchandise immatérielle, il va être nécessaire de chercher à en définir la valeur. En économie classique, la valeur est déterminée par la quantité de travail nécessaire pour produire une marchandise. Vérités et opinions n’échappent pas à cette réalité. Produire une vérité nécessite beaucoup plus d’études, d’analyses, de comparaisons, de collaborations, c’est-à-dire de travail, qu’une simple opinion qui a juste besoin d’être la formulation d’un ressentit personnel ou collectif. Une vérité contient donc beaucoup plus de valeur. Ce déséquilibre de valeur entre opinions et vérités permet ainsi, pour le même temps de travail, de produire une quantité bien plus grande d’opinions. En effet, pour le même temps investit dans la rédaction d’une publication justifiée par un travail de recherche et d’historiographie conséquent permettant ainsi d’étayer ses dires, il est possible de rédiger peut-être cent publications sur le même thème se concentrant uniquement sur ses propres ressentis ainsi que sur des arguments rhétoriques.

Ensuite pour être réalisée, c’est-à-dire pour trouver acquéreur sur le marché des idées, il est nécessaire pour les biens immatériels comme les opinions et vérités, que cette différence de valeur nécessaire à leur production soit reconnue socialement. C’était le cas dans le cadre de la société solide où des structures d’autorité pérennes et reconnues permettaient d’affirmer cette différence. Par exemple, la différence de valeur sur le sujet de la création de l’univers entre la prise de parole d’un Carl Sagan et celle d’un télévangéliste créationniste était reconnue socialement car garantie par les structures d’autorités étatiques et scientifiques elles-mêmes reconnues. La société liquide a quant à elle progressivement balayé la perception sociale de cette différence. En détruisant la légitimité des structures d’autorité, elle a progressivement fait vaciller la reconnaissance sociale de la différence de valeur entre production de vérités et d’opinions[11]. À partir de ce moment, produire des vérités nécessitant un travail important s’est trouvé de moins en moins rentable, car il n’a plus été possible de les « valoriser » avantageusement par rapport à de simples opinions. Il est alors devenu nécessaire de rogner sur les coûts et sur le travail nécessaire à la production de vérités/marchandises pour rester concurrentiel sur le marché des idées. L’université en est le parfait exemple. S’il a été possible pour Fernand Braudel de travailler pendant vingt-quatre années à la rédaction de sa thèse de doctorat (1923-1947)[12], il est difficile d’attendre la même qualité d’une thèse qui de nos jours doit impérativement être rédigée dans les trois ans. Produire un travail de qualité visant à reconstituer des faits et leurs implications est long, couteux et un luxe de plus en plus rare dans la société liquide. On peut également le constater dans la disparition progressive du journalisme d’investigation.

Comme dans l’ensemble des autres secteurs économiques, l’avènement de la société liquide a accéléré la rationalisation économique et la recherche de la maximalisation de la rentabilité immédiate. Pour permettre cette rationalisation, l’évaluation est progressivement devenue un critère indispensable. Au vu de la difficulté d’évaluer l’importance subjective d’une opinion ou d’une vérité, c’est-à-dire ce qu’elle apporte à la compréhension du monde ou la construction d’un individu, la seule qualité retenue permettant l’évaluation a été la quantité. Progressivement, l’évaluation d’une vérité ou d’une opinion a alors été déterminée par la « logique d’audimat »[13], c’est-à-dire le nombre de personnes qui ont été touchées par elle et y ont réagi. Cette évaluation n’est pas déterminée par sa véracité ou par son utilité sociale, mais par son impact. Au sein des universités cela prend la forme de « l’Impact factor », sur les réseaux sociaux le nombre de « J’aime », dans les médias le nombre de vues d’un article ou d’une vidéo. Plus que la valeur d’une idée déterminée par le travail nécessaire pour la produire, c’est progressivement la « qualité » de son écho qui a été mise en avant et confondue avec sa valeur. En effet, si la valeur permet de comprendre le travail moyen qu’il a été nécessaire de mobiliser pour produire une analyse, elle a le défaut de ne pas permettre de voir l’impact immédiat de la diffusion de cette opinion ou vérité sur l’économie. Au sein de la « société solide », la présence de marges économiques plus importantes et de structures pérennes permettait de considérer l’impact d’une analyse à plus long terme et l’impact factor n’avait pas à être le critère principal de qualité. Par exemple, la « qualité » des travaux d’un Fernand Braudel pouvait être déterminée de manière plus subjective par la reconnaissance de ses pairs dans ce qu’il avait apporté à la recherche historique. Ce moyen de détermination de la qualité était rendu possible par une certaine solidité de la recherche universitaire garantie par un État très investi ce qui permettait d’envisager des critères évaluatifs à moyen et long terme lorsqu’ils étaient nécessaires. Au sein de la société liquide, la situation économique pousse à considérer uniquement la rentabilité à court terme. Les critères d’évaluation ont évolué en ce sens, ne prenant en considération que l’impact immédiat et quantifiable. L’opinion/marchandise ayant pour principal intérêt de permettre la valorisation d’autres marchandises, c’est son utilité économique immédiate qui est mise en avant avec ces critères d’évaluation. Progressivement, ce prisme est devenu un critère essentiel dans la rationalisation économique de la production d’analyses. L’analyse la plus rentable étant celle proposant le meilleur ratio entre l’impact qu’elle génère (sa qualité) et la valeur nécessaire pour la produire.

Le changement de paradigme est important, car « la qualité » est quantifiée alors par le nombre de réactions produites. Peu importe que ces réactions soient positives ou négatives, seul le nombre de vues compte. Dans ce cadre d’évaluation, la vérité peine à concurrencer les opinions. En effet, la vérité étant plus engageante dans son processus de réalisation, lorsqu’elle arrive sur le marché il y a plus de conséquences si son impact est jugé comme insuffisamment rentable. Le travail nécessaire à la production d’une opinion étant bien moindre, si elle n’intéresse personne, c’est-à-dire si elle ne se réalise pas sur le marché des opinions, la perte est moins grande. Se lancer dans la production de vérités, même dévaluées, génère un risque économique bien plus grand que celui d’une opinion. Ensuite et quel que soit le sujet, utiliser les émotions et les sentiments a plus de chance de susciter une réaction qu’un raisonnement minutieux et une présentation d’analyses et de preuves. De plus, la logique d’audimat favorise la nouveauté. Déconnecter l’opinion de toute vérité permet de produire des opinions/marchandises nouvelles et originelles à même de créer des réactions. En effet, l’opinion n’étant pas en nécessité de se rapporter à un nombre limité de faits, la production d’opinion/marchandise devient alors illimitée. Se libérer de la vérité est alors une nécessité pour libérer le marché des opinions/marchandises.

Nouveau régime de vérité ou crise de la vérité ?

Le seul avantage économique dont pouvait bénéficier la vérité était sa valorisation par les structures d’autorité. La remise en cause des institutions qui justifiaient la légitimité de la différence de valeur entre vérités et opinions a contribué à ce qu’une part croissance de la société les considère comme identiques. Surtout qu’en pratique, les frontières entre vérités et opinions peuvent souvent être plus floues qu’il n’y parait. Dans un rapport utilitariste, il peut être commode d’utiliser le registre de l‘émotion pour persuader d’une vérité ou encore de s’appuyer sur quelques vérités pour mettre en avant une opinion. L’art de la rhétorique et de la dialectique euristique[14] laisse beaucoup de marges pour construire un discours visant à persuader. Mais avec l’émergence de la société liquide, le changement de paradigme est général et devient la norme principale. Le rapport aux paralogismes n’est alors plus individuel, mais sociétal. Il devient légitime de présenter des opinions comme des « vérités personnelles ». Ces dernières, basées sur des ressentis et des émotions, peuvent alors être reconnues comme de même « valeur » qu’une vérité basée sur une analyse méthodique de faits établis. Pour les individus producteurs d’opinions/marchandises, reconnaitre l’existence de « vérité personnelle » c’est permettre la propre légitimité de ses opinions et donc de sa personnalité transformée en capital. À l’inverse, refuser la légitimité d’une « vérité personnelle » d’un individu est alors vécu comme une grande violence puisqu’elle produit une remise en cause de la légitimité du sujet comme producteur d’opinion/marchandise. L’identité personnelle se confondant de plus en plus avec l’image sociale présentée sur des réseaux sociaux numériques. La remise en cause de la légitimité de « vérité personnelle » devient une attaque directe contre le « moi ».

C’est par ce mécanisme économique que s’étend le discours de relativité vis-à-vis de la vérité et la substitution de vérité par la multiplicité d’opinions jugées comme légitimes.  La question que l’on doit se poser est donc : l’avènement de la société liquide nous a-t-il fait changer de régime de vérité ? La réponse n’est pas si simple. En effet, le régime de vérité moderne basé sur la rationalité économique s’est imposé partout dans le monde et demeure en vigueur.

Pourtant il existe un changement réel. Relativement aux périodes précédentes où la propagande utilisait déjà le ressort de l’émotion, la rupture réside dans le fait que la vérité semble désormais devenue caduque.

S’il existe des régimes de vérité différents selon les périodes, ils partageaient jusqu’à présent au moins une chose en commun : ceux participants à définir les standards continuaient de « prétendre à la vérité »[15]. Par exemple, la vérité de l’église d’Innocent III (1160-1216) est loin de celle Stephen Hawkins, pour autant, dans le cadre de la société médiévale, le pape n’avait pas besoin de prétendre à l’inexistence du massacre de Bézier (1209) pour maintenir sa parole comme vérité. Il pouvait assumer ces faits tout en prétendant tout de même à la vérité, celle de l’Église, celle de dieu dont il est le représentant sur terre.

Quel que soit le régime de vérité, ce dernier impliquait avant tout une soumission à la vérité dès lors qu’elle était reconnue. Lorsque Descartes affirme « je pense donc je suis », il n’énonce pas seulement une rationalité, mais aussi une soumission à la vérité que l’on retrouve dans le « donc ». Il dit : « c’est évident donc je m’incline »[16]. Descartes pourrait vouloir lutter contre cette vérité, mais il ne le fait pas.

C’est justement ce qui parait différent avec la vérité liquide moderne. Ce n’est pas parce que c’est vrai que l’on s’incline pour autant. Il devient possible à la place de construire des « faits alternatifs ». Il semble que la vérité ait perdu de son impact sur le réel. Nous ne sommes pas rentrés dans « une ère de mensonge généralisé » qui succéderait à une ère de vérité[17]. Les conditions de productions des vérités n’ont pas changé fondamentalement depuis les années 1970. Par contre, ce sont les conséquences sociales du partage entre le vrai et le faux qui sont en pleine mutation. Cela aboutit à un brouillage des repères et des frontières. Le discours est remis en cause par la contestation même de l’autorité qui produit ce discours. Plus qu’un changement de régime, c’est à une crise de la vérité à laquelle on assiste.

En effet, ce qui marque cette période de la vérité liquide ce n’est pas forcément le fait que les mensonges se multiplient, mais que leur révélation semble avoir de moins en moins de conséquences. Lorsque qu’E. Macron affirme l’inexistence des violences policières, la grande majorité des personnes réceptionnant ce discours sait qu’il ne colle pas avec les faits. Pourtant peu s’en offusquent. Certains vont même trouver que cela relève de la tactique habile, d’autres qu’il défend « sa vérité », d’autres encore vont admirer sa capacité à modeler le monde selon sa volonté... L’indignation générée par le cynisme de cette phrase vis-à-vis des faits est loin d’être généralisée. Hannah Arendt affirmait en 1967 que :

Le résultat d’une substitution cohérente et totale de mensonges à la vérité de fait n’est pas que les mensonges seront maintenant acceptés comme vérité, ni que la vérité sera diffamée comme mensonge, mais que le sens par lequel nous nous orientons dans le monde réel – et la catégorie de la vérité relativement à la fausseté compte parmi les moyens mentaux de cette fin – se trouve détruit. 

C’est ce processus qui semble être en cours et produit une relative indifférence à la vérité. Le dévoilement des mensonges comme tel semble inefficace. On peut par exemple, voir cette réalité s’incarner dans la cote de popularité du président américain qui n’est pas affecté par la révélation de ses mensonges. Rosa Luxembourg aurait affirmé : « Si toute la population savait, le régime capitaliste ne tiendrait pas vingt-quatre heures »[18]. Aujourd’hui, on a l’impression que même si toute la population savait, elle serait partagée entre cynisme et apathie. Cette montée de l’insignifiance[19] est le produit d’une montée du sentiment d’impuissance et d’atomisation sociale. Contrairement à que pouvait affirmer Lénine, La vérité ne semble plus révolutionnaire, car elle ne semble plus être en capacité de changer la réalité.

 À force de voir surgir dans l’actualité des notions qui, aussitôt apparues, frappent d’obsolescence ce qui, un jour avant, paraissait une norme inébranlable, le présent devient lui-même inopérant ; il ne donne prise à aucune action[20].   

Vérité, opinion et mouvement social. Étude d’impact local de la rumeur sur le pacte de Marrakech

Cette crise de la vérité n’est pas l’apanage des plus hauts sommets du pouvoir. Chacun se trouvant producteur d’opinions/marchandise, ce nivellement se retrouve à une échelle différente, dans l’ensemble de la société. Il semble donc légitime de se poser la question de comment cette crise impacte les mouvements sociaux actuels, notamment ceux dont la mobilisation du consensus[21] s’est réalisée, au moins partiellement, à travers les réseaux sociaux numériques. Le mouvement social français des Gilets Jaunes (2018-2020) est de ceux-là. N’étant pas à l’origine impulsé par des organisations préexistantes au mouvement social (de type syndicales, associatives ou politiques), le discours produit lors de ce mouvement n’a pas été contrôlé par une organisation particulière. La circulation d’informations a principalement utilisé les réseaux sociaux numériques et particulièrement Facebook. Les répertoires d’actions collectives utilisés lors de ce mouvement sont multiples : Pétition lancée en mai 2018, occupation de rond-point, blocages de péages, manifestations hebdomadaires, etc. Mais ils ont pour point commun d’avoir utilisé massivement les groupes, pages et autres évènements Facebook pour se structurer et mettre en réseaux des personnes qui ne l’étaient pas initialement. S’il convient de reconnaitre la place du numérique dans cette mobilisation, il ne faut pas négliger les réseaux sociaux physiques qui ont eu une part prépondérante dans le mouvement social. L’étude de Benoit Coquard[22] souligne l’importance des réseaux amicaux et interpersonnels directs existants et les sociabilités locales (village, quartier, bar), dans le processus de mobilisation de l’action[23], notamment pour ce qui est de l’occupation des ronds-points. Appréhender la circulation de l’information, des échanges de vérités et d’opinions au sein de ces milieux nécessiterait un travail de terrain approfondi et de produire des questionnaires ciblés. Cette démarche pourrait être très enrichissante, mais nécessite la mobilisation de nombreuses ressources. Dans un premier temps nous nous contenterons donc d’analyser la circulation d’une infox spécifique au sein des réseaux sociaux numériques Gilet Jaunes d’une ville particulière (Marseille), ainsi que des réactions qu’elle a suscitées. Par Infox ou Fake News, nous entendons une information mensongère ou une altération des faits produite dans le but de manipuler, générer une forte émotion chez le public qu’il impacte et qui se propage sous la forme d’une rumeur.

Les conséquences des pactes de Marrakech et Aix-la-Chapelle entre Fake News et rumeurs

Le mouvement des Gilets Jaunes s’étant massivement structuré en passant par les réseaux sociaux numériques, plusieurs rumeurs ont été utilisées pour fabriquer l’émotion favorisant l’adhésion et orientant politiquement les colères. Une des plus marquantes a surgi dès les premières semaines du mouvement social – en novembre décembre 2018 – et porte sur le pacte de Marrakech. Ce pacte mondial sur les migrations, pourtant non-contraignant pour ses signataires, devient alors la cible principale de militants d’extrême droite particulièrement présents en ligne[24]. Les fausses informations se multiplient et sont rapidement colportées par de nombreux députés d’opposition de droite et d’extrême droite. Ce traité qui n’a pourtant qu’une valeur symbolique est tour à tour accusé : « de favoriser l’afflux massif de réfugiés »[25], de « censurer la presse »[26], d’«organiser le remplacement des travailleurs par des migrants »[27] et de « détruire la souveraineté française » voir de « vendre la France ». Cette rumeur est couplée avec une seconde concernant la signature d’un second traité : celui d’Aix-la-Chapelle. Là encore, le traité est accusé de détruire la souveraineté de la France, de « vendre son siège au conseil de sécurité de l’ONU » ainsi que « l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne »[28]. En réalité cette rumeur est une FakeNews fabriquée par l’Alt-right américaine sur le site Breitbart, puis récupérée par l’extrême droite hollandaise et suisse avant d’être importée et adaptée en France[29].

La presse affirme alors que l’on retrouve massivement cette rhétorique « au sein des groupes de Gilets Jaunes »[30]. Sur la période allant du 3 décembre 2018 au 11 janvier 2019, ce n’est pas moins de 267 articles[31] qui sont produits par la presse nationale et régionale, associant les termes « Pacte de Marrakech » et « Gilets Jaunes ».

L’information circule en effet sur les réseaux sociaux numériques qui permettent alors aux Gilets Jaunes de se structurer. On la retrouve également lors de manifestations. Par exemple, les Gilets Jaunes lyonnais défilent le 9 décembre derrière une banderole de tête au titre explicite « Marrakech c’est non ! ». Si, par la suite, cette revendication a progressivement disparu de l’expression médiatique du mouvement social au fur et à mesure que s’est éteinte cette rumeur au cours du mois de janvier 2019, elle reste révélatrice de la place que peuvent prendre les fausses informations au cours des mouvements sociaux. Jouant sur l’émotion, la peur et le sentiment d’urgence, au tout début du mouvement social des Gilets Jaunes. Le fonctionnement de la communication liée au pacte de Marrakech semble relever de l’ordre classique de la rumeur. C’est-à-dire « la diffusion d’énoncés informatifs non vérifiés et pertinents par leur fonction qui apparaissent dans des contextes d’ambiguïté, de danger ou de menace potentielle et qui aident à gérer le risque et à comprendre »[32].

Quelle place au sein des groupes GJ Marseillais ?

Mais cette présence a-t-elle été si importante et surtout comment les acteurs ont réagi à la propagation de cette rumeur ? Pour envisager un début de réponse, regardons plus en détail la circulation de cette infox au sein des groupes d’organisation Facebook marseillais. Marseille et ses alentours n’ont pas été l’épicentre du mouvement social qui se concentrait principalement dans le sud-ouest de la France. De plus la taille importante de la ville a contribué à ce que les occupations de ronds-points soient pratiquées dans sa périphérie lointaine (Bandol, La Barque, Vitrolles, La Ciotat, etc.) limitant leurs liens directs avec la métropole. Les réseaux sociaux numériques ont ainsi pris une place importante dans la circulation d’informations liées au mouvement social.

Au sein de ces groupes Facebooks marseillais[33], les publications faisant référence au pacte de Marrakech s’étalent sur une courte période (du 3 décembre 2018 au 15 janvier 2019) tout comme celles liées au traité d’Aix-la-Chapelle (du 14 au 22 janvier 2019). Au total ce sont seulement 16 publications, 168 commentaires et 238[34] réactions qui ont trait à Marrakech. Quant à celui d’Aix-la-Chapelle, il a généré 13 publications, 119 commentaires et 109 réactions. Au total, ce sont 37 liens externes à Facebook visant à proposer une source justifiant les propos de l’auteur qui sont partagés sur ces sujets. L’échantillon est donc restreint, mais cela nous permet d’analyser qualitativement à la fois les sources de productions et de réceptions de ces informations fallacieuses. Sa taille trop modeste empêche de le considérer comme représentatif et les statistiques qui en sont issues gagneraient à être étendues à un grand nombre de groupes[35] pour être réellement probants. Ils sont donc à prendre au conditionnel, mais peuvent tout de même être considérés comme une première approche riche d’enseignements.

Tout d’abord on se rend compte que le sujet est resté plutôt marginal. Cumulés, ces groupes ont échangé en moyenne 42 publications et un peu plus de 330 commentaires par jour durant le mois de décembre 2018. L’« impact factor » du sujet « Marrakech » est donc plus que limité. Ensuite au niveau qualitatif, il semble intéressant de se pencher sur le cas des commentaires, lieu où les échanges et débats Facebook peuvent avoir cours. La grande majorité d’entre eux se rattachent à la fois au registre du doute et de l’émotion de type « Je ne sais pas si c’est un fake ou si c’est vrai, mais si c’est vrai tu as deux choix : préparer ta burka ou ton fusil » ou encore « j'ai envie de vomir ». Les commentaires ouvertement racistes ou islamophobes comme celui du dessus demeurent plutôt rares, la plupart restant dans le cadre de la simple indignation et du dégout sans aller plus loin. Pour ceux qui argumentent, il est plus question de « souveraineté », de la « fin de la France » ou de régler en priorité les problèmes sociaux « chez soi, avant d’accueillir la misère du monde », que d’insister sur leur peur des réfugiés. Les thématiques ouvertement d’extrême droite comme la théorie du « grand remplacement » demeurent absentes des débats. Ensuite pour que cette rumeur se diffuse, il est nécessaire qu’il y ait une bonne fluidité sociale de l’information que seuls lui procurent les groupes Facebook de discussion à faible modération. Les pages ou les groupes à fonctionnement vertical et à modération à priori, limitent grandement sa diffusion. À moins qu’un des administrateurs décide d’en être activement le vecteur.

Il est aussi intéressant de voir qu’une bonne partie des commentaires, y compris de la part de ceux qui colportent la rumeur, se demande si l’information est vraie ou demande des sources externes. Certains utilisent le conditionnel. Au cours des échanges dans les commentaires, les arguments nécessaires à persuader les protagonistes n’ont pas à être foisonnants. Parfois un simple « oui, c’est vrai » suffit, mais cela démontre tout de même d’une recherche initiale de la vérité pour une bonne partie des interlocuteurs. On pourrait même considérer qu’il demeure dans ces prises de paroles une certaine parrêsia[36] puisque se trouvant à la fois dans un franc parlé et dans une volonté de recherche sincère de la vérité. Par contre, une utilisation simple du registre de l’émotion, principalement celui de la peur, suffit à la dénaturer et à convaincre la majorité des individus engagés dans des échanges suivis sur le sujet à considérer cette rumeur comme vraisemblable.

Il convient également de souligner l’importance de la présence d’un petit nombre de comptes Facebook récurrents dans la propagation de ces rumeurs. En effet les 4 comptes les plus actifs sur le sujet – respectivement par groupe - ont produit près de 15% de l’ensemble des commentaires, mais surtout, ils ont partagé plus de 42% des liens externes visant à légitimer la rumeur par une source. Ces partages consistent en des liens vers des sites d’informations russes (RT/Spoutnik), des sites d’extrême droite/complotistes et des podcasts YouTube.

Il est aussi nécessaire d’insister sur la présence de 17 commentaires de réfutation affirmant la fausseté de ces informations et le partage de 4 liens externes de débunkage. L’argumentaire rationnel bénéficie donc d’une réelle présence, mais n’est pas pour autant plébiscité lors des débats. Les commentaires de réfutation obtiennent sensiblement le même nombre de réactions que ceux de propagation de la rumeur, contribuant à les mettre au même niveau. Les arguments rationnels ne subissent pas de traitement préférentiel et semblent ne pas suffire à éteindre l’émotion de panique légère suscitée par l’infox. Soit ils ne suscitent pas de réaction, soit ils suscitent le même doute que face à des arguments en faveur de l’intox : « si le pacte n’engage à rien pourquoi le signer ». D’autant plus que les sources de réfutation citées restent des articles de grands médias nationaux, régulièrement objet de critiques dans leur traitement médiatique du mouvement social.

Passé la date de signature des traités et la non-réalisation des prophéties annoncées par ces intox, les références à Marrakech et à Aix-la-Chapelle disparaissent des groupes. À l’exception de rares commentaires spammés (copier/coller en dessous de plusieurs publications) visant à faire la publicité de François Asselineaux, de son parti l’UPR et du Frexit. Ces derniers commentaires sont présents uniquement juste avant l’échéance des élections européennes de 2019. Ils ne génèrent aucune réponse et ont un impact factor presque nul. La quasi-totalité des personnes ayant partagé cette rumeur semble donc s’être inclinée vis-à-vis des faits, ou plutôt face à l’absence de faits. Seuls quelques militants politiques très particuliers ne se sont pas soumis aux faits et ont continué de propager la rumeur après la non-réalisation de la prédiction.  

Un nivellement des opinions et de la vérité encouragé par le fonctionnement même de la plateforme Facebook

Ni cette Fake-news, ni des sources ou preuves discutables visant à légitimer cette infox n’ont été produites par des membres du groupe. Aucun n’a partagé un article de son propre blog ou fait appel à des connaissances particulières qu’il détiendrait en tant que témoin de quelque chose de particulier. La production de cette rumeur se trouve donc extérieure aux groupes. Par contre ce qui a été produit au sein de ces groupes, ce sont des opinions vis-à-vis de cette Fake-news. Ceux qui la défendent ou défendent le doute favorable à cette infox sont producteurs d’une opinion qui semble fondée sur un cumul d’émotions mêlant peur de la perte (perte de la souveraineté ou de la « France ») peur de l’autre, du déclassement (peur de ne pas vivre mieux que les réfugiés), mais aussi sentiment d’opacité et d’étrangeté a la vie politique et aux médias (on nous cache tout, donc tout est possible). À partir du moment où ils produisent cette opinion, ils cherchent alors à persuader de son bien-fondé, car cela permet de générer chez les autres membres une forme de mobilisation du consensus (tout le monde se retrouve scandalisé et indigné) puis de l’action (agissons en conséquence) centrée sur l’émotion. La conséquence de l’acceptation de la rumeur implique la mise en action pour une bonne partie de ceux qui discutent : « Faut bloquer les banques etc. Quitte à prendre des coups, le faire pour du concret maintenant » ou encore « Ouiiii il faut bouger le 22 janvier il va nous offrir par petit morceaux… ». De l’autre côté, le refus de la rumeur et la recherche de la vérité ne permet immédiatement ni mobilisation du consensus, ni de l’action.

Il est également important de noter que partager de manière répétée cette infox semble participer à conférer aux personnes les plus actives, un pouvoir symbolique. Leur utilité dans le groupe semble les placer au rang de lanceurs d’alerte prévenant les autres d’un danger imminent. En fournissant des sources et en répondant chaque fois que le débat sur le sujet fait rage, ils se placent en experts sur le sujet et en interlocuteurs incontournables. Ce statut est d’ailleurs reconnu et valorisé par la plateforme Facebook elle-même qui a créé un système de badge pour récompenser les utilisateurs les plus actifs d’un groupe. À côté de leur pseudonyme peut s’afficher la mention « étoile montante » voir « moteur de conversation » s’ils publient suffisamment de « posts » et de commentaires. Enfin, lorsque la supercherie est révélée par la vacuité des faits et que rien de ce qui a été prédit ne se déroule comme annoncé après la signature des traités, les profils les plus actifs dans le partage de ces publications ne semblent pas pâtir de cette erreur. Les 4 profils les plus actifs sur les sujets de Marrakech et d’Aix-la-Chapelle restent tout autant actifs au sein du groupe Facebook sans que leur erreur ne leur soit reprochée publiquement. Vendre une opinion favorable envers une rumeur semble n’avoir aucune conséquence sociale. Cette opinion/marchandise basée sur une fausse information permet donc d’augmenter la valeur du capital du profil Facebook qui la partage auprès des autres membres du groupe. 

Il est également nécessaire de souligner que le fonctionnement même de Facebook fait que les opinions soutenant ces infox sont mises au même niveau que celle rétablissant la vérité. Mais si « l’impact factor » des opinions favorables à cette Fake-news a été très limité, il a tout de même été supérieur à celui généré par ceux diffusant un discours de vérité sur le sujet, car générant moins de réactions.

Conclusions préliminaires  

Si les conclusions de cette étude limitée en termes d’échantillon ne sauraient être étendues à l’ensemble du mouvement social, elles restent riches en enseignement pour ce qui est de la place de cette rumeur sur les réseaux sociaux numériques des Gilets Jaunes de Marseille. Mais il convient justement de remettre ces conclusions dans un contexte local de sociabilités réelles. En effet, cette rumeur émerge début décembre 2018 à un moment où le mouvement social a déjà donné lieu à de nombreuses initiatives et d’actions collectives. À ce moment-là, à Marseille, les réseaux sociaux du mouvement social ne se limitent plus au numérique. Si les occupations de rondpoints ayant débutés à la mi-novembre se déroulaient principalement en périphérie de la ville, d’autres actions ponctuelles, notamment de barrages filtrants se déroulaient en centre-ville. Surtout, l’acte III du 1er décembre a vu le début de l’investissement des métropoles par les manifestants ainsi que les premiers lycées phocéens bloqués[37]. Ces groupes Facebook locaux sont alors les lieux d’organisation pratique de ces actions de mobilisation amenant une partie des participants à se rencontrer physiquement. Les liens ne se limitent pas aux échanges virtuels et il est probable que cela ait une influence aussi sur le mode de propagation des rumeurs au sein du groupe. Il serait nécessaire de comparer ses résultats avec ceux générés par l’analyse d’un groupe Facebook national de Gilet Jaune. Rassemblant des acteurs de l’ensemble de la France, il serait intéressant de voir l’impact de cette rumeur au sein de groupe de personnes ayant une plus faible probabilité de s’être rencontrées physiquement et d’avoir participé à une action ensemble.

En conclusion, l’étude de l’impact de cette opinion sur les groupes Facebook Gilets jaune marseillais nous permet de penser que :

  • La place de cette rumeur semble avoir été surestimée par les médias ;
  • Même les acteurs partageant la rumeur se posent en recherche de la vérité ;
  • Le fait que vérité et opinions soient au même niveau défavorise la vérité, car cette dernière ne semble pas générer le même niveau d’indignation et d’action ;
  • Partager des opinions le plus régulièrement possibles est valorisé par le fonctionnement même des groupes Facebook, cela confère un pouvoir symbolique et partager une opinion fausse n’a pas de conséquences sociales négatives ;
  • Un petit nombre d’individus actifs suffisent à donner une présence réelle à une rumeur et à instiller le doute ;
  • La non-réalisation de la prophétie fallacieuse met fin à l’existence de la rumeur. La vérité des faits fait donc toujours autorité ;
  • La production des sources initiales justifiantes la rumeur est extérieure de notre groupe test et produite par des militants engagés dans les partis politiques spécifiques. Ce sont d’ailleurs les seuls à continuer à défendre la rumeur après que les faits l’aient infirmée et se trouvant imperméables à la vérité.

Bien évidemment, cette étude de cas reste un exemple particulier. Il est possible de trouver, dans l’expression publique des groupes de Gilets Jaunes sur les réseaux sociaux numériques, de multiples références à des Fake News, théories du complot ou simples rumeurs. Mais il serait intéressant d’étudier dans le détail l’impact réel de ces publications. Sont-elles réellement plus présentes sur les groupes organisationnels de ce mouvement social que sur la moyenne des groupes Facebook et leur impact factor est-il réellement significatif ? Les premiers éléments fournis par cette étude tendraient à répondre par la négative. Mais il convient de rester prudent et de distinguer les groupes organisationnels locaux et les groupes nationaux. Et surtout sous quelle forme réelle cela s’est-il traduit sur le terrain, au sein des ronds-points et des manifestations hebdomadaires. Un travail d’enquête conséquent serait nécessaire pour répondre à cette question.

Mouvement social et vérité liquide

En extrapolant à partir de ces premiers résultats, on peut tout de même entrapercevoir le poids que pèse la « vérité liquide » au sein des mouvements sociaux contemporains. Le nivellement entre opinion et vérité est plus que jamais présent, mais il ne semble pas s’exprimer à un niveau différent de ce qui existe dans le reste de la société. Vérité et opinion se retrouvent mises sur le même plan, mais l’émotion générée par l’opinion produit plus de réactions la rendant plus utile à la mobilisation. Malgré ce constat, il reste nécessaire de souligner que notre étude tend à démontrer que le recours à ces artifices ne semble pas relever du processus volontaire. Une réelle recherche de la véridicité semble exister dans les discours à travers de nombreux questionnements rendus impossibles à satisfaire par la perte totale de confiance envers toutes instances officielles. Le sentiment d’incertitude dans lequel se trouvent les acteurs génère un grand inconfort leur permettant d’accepter facilement une explication, même fausse, si elle est annoncée par quelqu’un de confiance. Dans le cadre des réseaux sociaux numériques, cette confiance semble être accordée en fonction du capital crédité à un profil virtuel, lui-même déterminé grâce au prix des opinions/marchandises qu’il a produit. Par définition la crédibilité d’une opinion est déterminée par celle de la personne qui la propose. Ce cas en est un exemple retentissant.

L’existence de ce type de rumeur au sein du mouvement des gilets jaunes ne semble pas relever d’une réaction cynique visant à créer consciemment l’émotion pour générer la mobilisation. Bien qu’il n’y ait pas de sanctions sociales envers ceux qui colportent de fausses rumeurs, chez la plupart des acteurs, l’indifférence à la vérité ne semble pas être présente une fois les prophéties non réalisées. Les seuls continuant à prôner une « vérité alternative » contre des faits établis restent un segment particulier de militants politiques investis dans des organisations proches de l’extrême droite.

Au vu de cette étude et contrairement à ce qui a été présenté largement dans les médias, les principaux générateurs et promoteurs de cette rumeur Marrakech/Aix-la-Chapelle semblent être avant tout les militants politiques spécifiques plutôt qu’une large partie des acteurs engagés dans le mouvement des Gilets Jaunes. Mais la crise de la vérité actuelle que l’on pourrait nommer « vérité liquide », brouille les pistes et pousse bon nombre d’acteurs à considérer cette rumeur comme probable, possible et à en faire écho.

Au vu de ces conclusions, il reste difficile de mettre sur le même niveau d’impact une prise de parole officielle du gouvernement, celle de personnalités politiques reconnues et une rumeur xénophobe propagée sur les réseaux sociaux numériques lors d’un mouvement social. En effet, la fabrication et la diffusion consciente de « faits alternatifs » reste l’apanage de certaines autorités politiques. Le mouvement social des Gilets Jaunes ne semble pas avoir atteint le degré de cynisme nécessaire pour « utiliser » la vérité liquide comme une arme à son avantage[38]. La phrase de M. Macron à propos des violences policière démontre par contre que l’utilisation de cette arme ne se limite plus à l’extrême droite de l’échiquier, mais à envahis l’ensemble du champ politique institutionnel. On la retrouve d’ailleurs dans les déclarations des hommes politiques Les Républicains ayant défendu les rumeurs de notre cas d’étude, mais également dans les propos du ministre de l’intérieur du 1 mai 2018 affirmant qu’« Ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital. On a agressé son personnel soignant. ». Faits infirmés par le personnel soignant lui-même dès le lendemain. Il est encore plus visible dans l’analyse des « partisans » de la République en Marche qui ont recours massivement aux comptes factices sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook) pour propager de fausses informations défendant la politique gouvernementale[39].

La vérité liquide est un processus social et économique qui envahit progressivement l’ensemble des sphères de la société. Mais il ne s’insinue pas au même rythme partout et le terrain de la politique institutionnelle semble être plus propice que celui des mouvements sociaux, même lorsqu’ils passent principalement par des réseaux sociaux numériques pour s’organiser ; surtout lorsque ces derniers ne s’y limitent pas et se transforment en réseaux sociaux physiques. Pour autant, cette indifférence à la vérité de fait semble continuer de progresser dans l’ensemble des champs sociaux, nous remémorant ainsi la célèbre phrase d’Hannah Arendt :

« La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat »[40].

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[1] WEBER M., Le savant et le politique, Paris, UGE 10/18, 1963 (1919).

[2] Cf. BAUMAN Z., La vie liquide, Paris, Fayard, coll. Pluriel, 2013.

[3] ARENDT H., « Vérité et politique (1964) » in Crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972.

[4] MARK K., Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel, Paris, Ed. Sociales, 2018.

[5] FOUCAULT M., Du gouvernement des vivants. Cours au collège de France (1979-1980), Gallimard Seuil, 2012.

[6] REVAULT D’ALLONNES M., La faiblesse du vrai, Paris, Seuil, 2018.

[7] Cf. SCOTT J., La domination et les arts de la résistance, Paris, éd. Amsterdam, 1993.

[8] LYOTARD J.-F., Le postmoderne expliqué aux enfants : correspondance 1982-1985, Paris, Gallilé 2005 (1986).

[9] Cf. GORI R., La fabrique des imposteurs, Paris, éd. Les liens qui libèrent, 2013.

[10] Cf. MARX K., Le Capital Livre I (1867), Paris, Gallimard Folio, 1963.

[11] À l’instar de n’importe quelles marchandises matérielles en concurrence ayant une valeur supplémentaire à faire valoir. Par exemple, une boite d’œufs bio nécessite en moyenne plus de travail et donc génère plus de valeur par rapport à la boite d’œufs de poules en batterie. Pour être vendu, il est donc nécessaire que cette différence soit reconnue sur le marché. Pour cela il est essentiel que la structure d’autorité qui détermine ce label « bio » soit elle-même reconnu et bénéficie de la confiance des acheteurs.

[12] Fernand Braudel, La méditerranée et le monde méditerranée à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949.

[13] Gori R., op. cit.

[14] Cf. SCHOPENHAUER A., L’art d’avoir toujours raison (1864), Poche Mille et une nuits, 2003.

[15] FOUCAULT M., Le courage de la vérité, le gouvernement de soi et des autres (1984), Paris, Gallimard Seuil, 2009.

[16] FOUCAULT M., Du gouvernement des vivants, op. cit., p. 96.

[17] Cf. REVAULT D’ALLONNES M., op. cit.

[18] Citation introuvable dans l’ensemble de l’œuvre traduite en français de Rosa Luxembourg, mais cité par FOUCAULT M., Gouverner les vivants, op. cit.

[19] Cf. CASTORIADIS C., Les carrefours du labyrinthe T4 : La montée de l’insignifiance, Paris, Point, essais, 1996.

[20] REVAULT D’ALLONNES M., op. cit.

[21] Cf. KLANDERMANS B., « Mobilization and Participation: Social-Psychological Expansions of Resource Mobilization Theory »American Sociological Review, vol. 49 (5), 1984.

[22] « Qui sont et que veulent les gilets jaunes » ? Entretien avec Benoit Coquard du CESAER (INRA, Dijon), Contretemps, [en ligne].

[23] KLANDERMANS B., op. cit.

[24] Cf. GIMENEZ E. et VOIROL O. « Les agitateurs de la toile. L’Internet des droites extrêmes. Présentation du numéro », Réseaux, vol. 202-203, n°2, 2017, pp. 9-37.

[25] CIOTTI E., député LR dans Le Figaro, le 29/11/2018, [en ligne].

[26] Ibidem.

[27] MONOT B., député européen RN publié sur Facebook, [en ligne].

[30] [En ligne iciici et ici].

[31] Source Europresse.

[32] BORDIA P. et DIFONZO N., « Rumeurs, ragots et légendes urbaines », Diogène, 2006/1 (n°213), pp. 23-45.

[33] Nous avons choisi de nous porter sur Facebook, car c’est le réseau social numérique le plus utilisé par ce mouvement. De plus, il autorise l’organisation par groupes géolocalisés, permettant l’existence d’une communauté restreinte visant, au moins pour une partie, à produire des actions de mobilisation. A contrario, le fonctionnement de Twitter par mots dièse généraux n’a pas du tout été utilisé de cette manière lors de ce mouvement social. Nous avons décidé d’analyser les quatre groupes Facebook principaux de Gilets Jaunes se revendiquant de Marseille et de mettre de côté d’autres petits groupes Facebook locaux de Gilets Jaunes inférieurs à 1000 membres :

  • « Citoyens en colère de Marseille » anciennement appelé « Gilets Jaunes Marseille Sud ». Crée le 6 novembre 2018. 8 164 membres au 6 février 2020. A dépassé les 15 000 membres au cours du mouvement des Gilets Jaunes. On le nommera groupe G1.
  • « Marseille Gilet jaune » Crée le 28 octobre 2018. 4 571 membres au 06 février 2020, a dépassé les 7 000 membres. On le nommera groupe G2.
  • « Les gilets jaunes de Marseille ». Crée le 19 novembre 2018, 4 007 membres au 06 février 2020, a dépassé les 8 000 membres. On le nommera groupe G3.
  • « Gilets Jaunes Marseille » membres. Crée le 20 novembre 2018, 2 060 membres au 06 février 2020. On le nommera groupe G4.

Nous avons également scanné les Pages principales marseillaises : « Gilets Jaunes Marseille », « Gilets Jaunes Marseille centre-ville », « Gilets Jaunes Engatsés », « Gilet Jaune Marseille ». Mais ces pages mettent seulement en avant les publications des administrateurs. Ne permettant que très peu de circulation horizontale de l’information (GARDENIER M., « Penser la communication horizontale dans le cadre de mouvements sociaux », revue Interrogations ?, n°28, 2019.), le rapport communautaire que génèrent ces pages semble moins important et les débats politiques sur les réseaux sociaux numériques ont tendance à se dérouler principalement sur les groupes plutôt que sur les pages qui ont servi à la seule diffusion publique d’informations. En tout cas pour le mouvement social des gilets jaunes. Aucune référence au pacte de Marrakech n’est décelable au sein des publications officielles de ces pages tout comme au sein des groupes G2 et G4 qui possédaient à cette période une forte modération à priori par un petit nombre d’administrateurs. Cette recherche a été conduite grâce à une recherche par mots clés avec variation autour d’orthographes aléatoires possibles. Les statistiques présentées ici correspondent donc aux groupes G1 et G3 cumulés.

[34] Publications faisant explicitement références aux occurrences de ces mots clés. Commentaires soit associés à ces publications, soit faisant exploitèrent références à ces occurrences de mots clés sous d’autres publications. Réactions aux publications ou aux commentaires suscités générés par la génération d’émoticônes (Like, love, haha, yay, wow, sad, angry) non différenciées.

[35] Le changement des conditions d’utilisation et de la protection des données modifié par Facebook le 1er septembre 2019 a rajouté de nombreuses difficultés au traitement systématique et statistique des données. En restreignant l’accès et en supprimant les applications comme Netvizz qui permettaient d’aspirer toute une somme de données qui pouvaient ensuite être analysées par des logiciels lexicométriques ou statistiques, Facebook a considérablement augmenté les ressources nécessaires à la récupération et l’analyse de ces données. Les précédentes études lexicométriques sur le mouvement social  ont été réalisées avant ce changement radical (Cf. SEBBAH B., SOUILLARD N., THIONG-KAY L., SMYRNAIOS N., Les gilets jaunes, des cadrages médiatiques aux paroles citoyennes, rapport de recherche préliminaire, Laboratoire d’Études et de recherches appliquées en Sciences Sociales, Axe médias et médiations socio-numériques, Université de Toulouse, 26 Novembre 2018).

[36] Cf. FOUCAULT M., Le courage de la vérité, le gouvernement de soi et des autres (1984), Paris, Gallimard Seuil, 2009.

[37] « Les lycéens s’engouffrent dans la brèche », La Provence, 1er décembre 2018, [en ligne].

[38] Là aussi il pourrait être intéressant de comparer ces résultats avec une analyse détaillé du mouvement d’opposition au mariage homosexuel et à l’homoparentalité en France de 2013-2014. Ce dernier étant largement investit par les militants d’extrême droite, dont une partie importante à l’habitude de manipuler la liquidité de la vérité à des fins politiques,  il n’est pas sûr qu’il produise les même rapports à la vérité que le mouvement des Gilets Jaunes.

[40] ARENDT H., « Vérité et politique (1964) » in Crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972, p. 303.

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Critique de Vivre sans, de Frédéric Lordon

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