VARIA
Par Lolita Graziosi, doctorante en sociologie à l’université Paul-Valéry, Montpellier 3.
La pop culture, passée au rang de phénomène mondial traite de tous les sujets, inspire toutes les formes d’arts et de divertissements. Touchant aussi bien l’art, la musique, le cinéma, les séries-télévisées, les comic-books que les jeux-vidéo, ce mouvement culturel devenu international impacte désormais le champ du social.
Qu’est-ce que la culture pop ?
Dans l’article « De quoi la "culture pop" est-elle le nom ? » [1], Hubert Artus définit la culture pop comme ceci : « Le mot "pop" est la contraction du terme anglais "popular" qui n'a pas vraiment d'équivalent en français. On le traduit communément par "populaire" au sens "de ce qui vient du peuple". Dans son acception anglo-saxonne, le mot désigne "ce qui sort de la rue" par opposition à ce qui est "issu de l'université, de l'élite ou des milieux autorisés" ». Artus évoque la notion « "culture de masse" qui est venue s'ajouter, se superposer et parfois s'opposer à ce que l'on appelle traditionnellement la "culture de classe" ».
C’est une véritable culture de masse qui vise à satisfaire le plus grand nombre. On peut l’opposer à certaines formes de culture comme la culture élitiste ou la culture avant-gardiste, qui touchent, elles, une partie plus aisée de la population. La culture populaire, aussi appelé pop culture en anglais, a notamment été abordée dans des études de sociologie, d’anthropologie culturelle, d’ethnologie, de littérature, d’art, ou encore de philosophie, dans le cadre des sciences de la culture ou Cultural Studies. Les Cultural Studies émergent en Angleterre dans les années 1960, avec la publication de l’ouvrage fondateur La Culture du pauvre de Richard Hoggart. Dans cet ouvrage, l’auteur fait un portrait du style de vie des classes populaires anglaises. Les Cultural Studies sont pluridisciplinaires, mêlant sémiotique, sociologie, anthropologie ou encore littérature, elles ont effectué de nombreuses études sur les sous cultures considérées comme déviantes. Aux États-Unis les Cultural Studies se sont employées à produire des travaux sur la pop-culture davantage portés sur la sémiologie. Elles s’efforcent d’étudier différents aspects de la culture sur ses agents d’un point de vue social. En franchissant les frontières universitaires elles interrogent les rapports culture-société ainsi que les rapports stratégiques de la politisation du culturel.
La culture pop comme expérience identitaire
La culture populaire est une forme de culture accessible à tous, néanmoins, elle demande une connaissance globale des œuvres qui la constituent. La culture populaire se définit généralement par ce à quoi elle s’oppose, car il n’y a pas de définition précise qui soit unanime au sein de la communauté scientifique. Elle se concrétise au travers de nombreux médias tels que le cinéma, les séries, la musique, les jouets et figurines, les jeux vidéo ou la bande dessinée. En passant de la saga « Star Wars »[2], au jeu vidéo « Mario »[3], à la série « The Big Bang Theory »[4] ou encore à la chanteuse « Lady Gaga »[5], ces différents avatars de la culture populaire partagent une esthétique propre. Pour Richard Mèmeteau, la pop culture peut être perçue comme une « structure esthétique spécifique »[6] comme il le propose dans son ouvrage Pop culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités :
Ma première hypothèse est historique et sociale. L’attitude fondamentale de la pop culture est héritée de cette intégration nécessaire des musiciens noirs, des dessinateurs et scénaristes de comic books juifs et de l’invention par les homosexuels d’une certaine posture camp. Ce genre de posture permettait de se frayer un chemin parmi les normes d’une société hostile tout en ne perdant pas sa propre voie. La deuxième hypothèse est historique et pragmatique. Elle consiste à suivre les recettes qui se sont transmises dans l’industrie d’Hollywood, toujours encline à plus de rationalisation, compte tenu des investissements colossaux qu’elle engage – quitte à parier sur les travaux érudits d’un mythologue nietzschéen et jungien[7].
Mèmeteau propose donc deux hypothèses permettant de comprendre l’émergence et la continuité du phénomène. Dans son travail d’exploration il propose une analyse fine des comic-books, romans, séries, films et chansons. Il admet qu’il « n’existe tout simplement pas de public si homogène qu’il consommerait indifféremment tout ce qui est pop »[8] la culture pop se comprend comme un phénomène bien plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, la réflexion se porte également sur des enjeux de stratégie visant à savoir ce que veulent les masses et le ressenti des acteurs de la pop culture en tant qu’expérience de l’identité. Enfin, Méméteau nous permet de voir que dans cette société si souvent décrite comme ultra-individualiste et déchirée par le multiculturalisme, la pop culture s’inscrit dans un mouvement communautaire : « Nos récits pop ne rendent peut-être pas la vie démocratique meilleure, mais ils la rendent au moins possible en reconduisant sans cesse les bases minimales d’un idéal de solidarité »[9].
La culture pop, créatrice de lien social
Si la pop culture est aujourd’hui une véritable expérience de l’identité, elle permet dans ce cadre la création de liens sociaux. La pop culture en tant qu’objet culturel est un objet social. En effet, dans le monde social la création d’un lien peut s’effectuer en cherchant les références communes avec l’autre. Cette recherche se positionne naturellement sur les références culturelles cinématographiques, musicales, artistiques, etc., qui permettent aux individus de partager leurs expériences et leurs goûts. En outre, il est nécessaire de prendre en compte que chaque individu perçoit le monde à travers ses lunettes culturelles. Selon les cultures il y a différentes formes de politesse, différentes façons de se rencontrer et d’appréhender le monde. La pop culture, permet aujourd’hui une nouvelle façon d’envisager l’altérité. En effet, sur la toile la culture pop est omniprésente et dans le cadre de la création de liens sociaux, les « memes » sont une nouvelle forme de communication. Ils permettent aux individus de s’accorder sur des ressentis de la vie quotidienne, d’appréhender le monde social selon des références communes ou encore de rendre compte d’un type de solidarité vécu individuellement puis collectivement. En outre, certains évènements permettent de réels rassemblements visant à célébrer la pop culture. On peut notamment citer le Comic-Con International de San Diego[10]: une convention dédiée aux comic-books et super-héros. Ce festival a rassemblé environ 130 000 personnes en 2010. Le fait que la pop culture soit aussi importante dans l’univers social se construit sur le fait que son contenu nous définis et nous rapproche. En effet, la pop culture permet une connexion collective de nos émotions dépassant les barrières de la langue et les frontières.
Culture populaire et autoréférence
Peu à peu on voit la « geek culture » émerger dans la culture populaire. Le terme « geek » est défini dans le dictionnaire Larousse comme : « Fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques ». Cependant, d’autres domaines culturels peuvent y attachés tels que le cinéma, la bande dessinée, les jeux de rôle. Autrefois marginalisé[11], le terme émerge au niveau mondial, notamment sur internet, défendu par des individus qui s’identifient eux-mêmes comme « geeks ». Le terme change de connotation pour devenir mélioratif. Ce phénomène est appuyé par l’essor des nouvelles technologies. Désormais communautaire dans un internet toujours plus florissant la « geek culture » peut devenir une partie importante de la culture populaire. Les différentes œuvres qui y sont déjà présentes deviennent cultes et représentent un puits de savoir qui s’autoalimente de façon permanente. Aussi bien sur internet que dans de nombreux autres médias, l’image du geek se veut tendance. On peut évoquer ici la série The Big Bang Theory qui met en scène un groupe d’amis, tous représentés comme geeks et revendiquant l’ensemble des caractéristiques d’attraits qui définissent un « geek », tout y est, si bien que tous types de geeks peuvent alors y trouver leur compte. Désormais la tendance « geek is the new sexy »[12] est commune au sein de la culture pop. Cependant, le phénomène prenant de plus en plus d’ampleur, une certaine césure va se former entre les connaisseurs et ceux qui s’approprient cette tendance sur la forme plus que sur le fond, ouvrant de grands débats de pop culture au sein des diverses communautés qui lui sont rattachées. On peut alors évoquer la « mort de la pop culture » devenue mainstream[13]. En effet, aujourd’hui vaste est en perpétuel enrichissement, la pop culture nous amène à réfléchir sur son contenu qualitatif. Dans cette optique on peut parler de contre-culture :
Elle est alors ironique. Mais la dimension artistique a tendance à s’éclipser quand l’attitude vis-à-vis de la société de consommation se confond avec la promotion de l’American Way of Life ou de n’importe quel soft-power dédié à la célébration du statu quo. La pop culture apparaît comme ce vecteur par lequel chacun réinvestit la vie quotidienne pour en faire une aventure. Elle peut être minuscule ou gigantesque, peu importe[14].
Cette contre-culture, en réinvestissant l’espace de la vie quotidienne, tend à être une caractéristique de la postmodernité. Effectivement, partir d’une situation quotidienne et lui réintégrer un aspect mythique, c’est ça la postmodernité. Pour étayer le fait que le retour du mythe dans le quotidien participe aux dynamiques de la postmodernité, nous pouvons citer le « monomythe » de Joseph Campbell. Dans la théorie du « monomythe », le héros serait animé par un voyage initiatique spécifique, réutilisé sous forme de réelle technique d’écriture. Le modèle « monomythique » a su exercer une forte influence sur les genres et les réalisateurs notamment à Hollywood. En tant que véritable « contamination mythique », cette recette faite en différentes étapes est largement utilisée dans les films de super-héros, qui sont de véritables blockbusters aujourd’hui. Cette « contamination mythique » nous amène à penser une véritable « remythologisation du monde »[15].
Fandom et appropriation d’un mouvement culturel
Au sein de l’univers de la pop culture, nous pouvons constater une évolution des réactions des internautes sur la toile. Les connaissances des fans, assez ciblées, amènent à une appropriation du contenu de la culture pop. Cette appropriation, en tant que construction identitaire amène au sein des communautés de fans une forme « d’extrémisation » des discours. Retranchés dans leurs opinions, les débats se transforment parfois en une forme de replis identitaire où le débat semble stérile. Aujourd’hui, ne pas aimer la saga « Star Wars » ou la série « Game of Thrones » [16] semblent presque socialement inacceptable parce qu’elles sont largement inscrites dans la culture pop. Même sans connaître directement ces deux références du genre, les personnages qui y sont représentés sont connus et leur actions ou leurs citations sont entrées dans les représentations collectives. On peut notamment évoquer la réplique « Je suis ton père » de Dark Vador dans Star Wars : Episode V – L’empire contre-attaque[17], célèbre aussi bien pour les adorateurs de la saga que pour les non-initiés. On ne peut plus émettre l’argument selon lequel la saga « Star Wars » n’est qu’une suite de films dans la mesure où elle a véritablement changé la culture. Dans la culture internet où l’information doit être extrêmement rapide, le traitement de ces informations n’est plus nuancé ou analysé, les erreurs n’y sont plus admises, les spectateurs sont, face aux grosses productions, de moins en moins indulgents. Les débats, parfois enflammés, que l’on retrouve sur la toile montrent une forme de sacralisation des récits, où chacun défend ses préceptes avec conviction. On retrouve cette pensée chez Le Fossoyeur de Films[18], dans sa vidéo : Batman V Superman (ou le problème actuel de la pop culture). Cette vidéo aborde la sacralisation de Superman dans le film ainsi que la sacralisation du personnage au sens large, longuement évoquée dans les débats critique du film.
La culture pop est un totem alimenté par un fort apport d’imaginaire culturel, ce qui lui permet de subsister au travers l’ensemble des médias par lesquels elle passe, qu’ils soient cinématographiques, vidéo-ludiques, musicaux, télévisuels, etc. La pop culture a su envahir le quotidien au travers ses nombreux objets de consommation mais également le champ du social. En effet, si la consommation est une dimension centrale dans nos sociétés, la pop culture possède des objets de consommation variés. Aussi bien au cinéma, dans la papeterie, dans le prêt à porter, les jeux vidéo, dans diverses publicités à grande échelle mais aussi dans le secteur de la grande distribution, en objets de décoration ou encore dans les jouets, sa présence totémique investit aussi bien l’espace public que privé et, fait de ce mouvement culturel une nouvelle culture globale.
Bibliographie
BAUDOUIN E., « De quoi la "culture pop" est-elle le nom ? », in Le Point, [en ligne], 13/02/2017, [consulté le 06/05/17].
CAMPBELL J., Le Héros aux mille et un visages, trad. de l'anglais par H. Crès, Paris, J'ai lu, 2013.
FOUILLET A. et GAUCHÉE M., « Qu’est ce qui rend la pop culture d’aujourd’hui si excitante ? », Panorama Des Idées, n°4 « Bons Baisers De La Pop-Culture », Paris, Lemieux Éditeur, 2015.
MÈMETEAU R., Pop culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités, Paris, La Découverte, Zones, 2015.
[1] BAUDOUIN E., « De quoi la "culture pop" est-elle le nom ? », [consulté le 06/05/17].
[2] Créé en 1977 par George Lucas, la saga Star Wars mêle fantastique et science-fiction. Elle a d’ailleurs joué un rôle important au cinéma en remettant au goût du jour la science-fiction qui, à cette époque, était perçue comme dépassée. Star Wars fait figure de monument au sein de la culture populaire. Les films se composent d’une prélogie comptant trois épisodes de 1999 à 2005, de la trilogie originale de 1977 à 1983 et enfin de la trilogie de 2015 et prévue jusqu’en 2019.
[3] Créé par Shigeru Miyamoto, Mario est le plombier mascotte de Nintendo. Il fait sa première apparition en 1981 dans le jeu Donkey Kong, dans lequel il s’appelait Jumpman. C’est à partir de 1985 qu’il devient célèbre dans la série de jeux vidéo Super Mario.
[4] Créée par Chuck Lorre et Bill Prady, la sitcom américaine The Big Bang Theory est diffusée depuis 2007 aux États-Unis et au Canada, puis pour la première fois en France en 2008. La série eu un tel succès qu’en 2009, elle remporta le prix du Teen Choice Awards dans la catégorie Meilleure série comique et le prix de la meilleure prestation de cette même catégorie fut attribué à Jim Parsons.
[5] Surnommé Gaga, Queen of pop, Mother Monster, Joanne, Lady Gaga est une chanteuse, auteure-compositrice-interprète, productrice et actrice. C’est en 2008, après la sortie de son album The Fame que Lady Gaga devient célèbre. Selon le magazine américain Billboard consacré à l’industrie musicale, les ventes de disques de Lady Gaga à travers le monde sont estimées à 180 millions, soit environ 30 millions d’albums, et près de cent cinquante millions de singles.
[6] MÈMETEAU R., Pop culture. Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités, Paris, La Découverte, Zones, 2015, 250 p. pp. 238-239.
[7] En référence au « monomythe » de Joseph Campbell, auteur du livre Le Héros aux mille et un visage où l’auteur évoque la structure et la composition du héros. Les travaux de Campbell sont influencés par la psychologie analytique et notamment par les travaux de Jung.
[8] MÈMETEAU R., Pop culture, op. cit., p. 39.
[9] Idem, p. 21.
[10] Le Comic-Con International: San Diego a été fondé en 1970 par Shel Dorf et un groupe d'habitants de San Diego.
[11] Au début du XXe siècle, les différents domaines associés à la culture faisait du « geek » un individu perçu comme intelligent et maladroit socialement. À partir de la seconde moitié du XXe siècle, le terme « nerd » est associé aux individus jugés « trop cérébraux », également perçus de manière négative. Au XXe siècle les deux termes évoluent et deviennent synonymiques. Ce n’est qu’au terme de cette évolution que des individus s’approprient le terme « geek » devenant mélioratif.
[12] En tant que nouveau phénomène tendance, cette expression peut se traduire par « est le nouveau phénomène tendance ».
[13] Est « mainstream » tout ce qui qui est de l’ordre du courant principal d’influence sur le plus grand nombre, est représenté par ce qui est d’actualité, à la monde, dans la tendance. On peut opposer ce qui est « mainstream » des contres-cultures ou des subcultures.
[14] FOUILLET A. et GAUCHÉE M., « Qu’est ce qui rend la pop culture d’aujourd’hui si excitante ? », Panorama Des Idées, n°4 « Bons Baisers De La Pop-Culture », Paris, Lemieux Éditeur, 2015, 176 p., p. 21.
[15] Michel Maffesoli, sociologue est Professeur émérite à l'université Paris Descartes. Il est l’auteur des publications : La Conquête du présent. Pour une sociologie de la vie quotidienne, Paris, Presses universitaire de Frande, 1979 ; L'Ombre de Dionysos, Le Livre de Poche, 1982 ; Le Temps des tribus, 1988 ou encore Le Réenchantement du monde. Morales, éthiques, déontologies, Paris, éd. Table Ronde, 2007.
[16] Adaptée des romans de George R. R. Martin, Le Trône de fer, Game of Thrones est une série télévisée crée par David Benioff et D. B. Weiss et diffusée depuis le 17 avril 2011 sur la chaîne américaine HBO.
[17] L'Empire contre-attaque ou The Empire Strikes Back, sorti en 1980, co-écrit par George Lucas et Lawrence Kasdan, et réalisé par Irvin Kershner.
[18] Youtubeur français, François Theurel anime une chaîne critique de cinéma appelé « Le Fossoyeur de films » depuis le 15 septembre 2012. Sa chaîne comprend au 24/04/17, six cent dix-sept mille sept cent cinquante-cinq abonnés.