N°11 / Révoltes

Varia/ Corps communicationnels : Grindr et l'imaginaire des désirs

Eduardo Bianchi

Résumé

Cette recherche souligne le rôle du réseau géo-social Grindr en tant que médiateur des relations sociales et des pratiques sexuelles au moyen de la communication. Elle envisage l'importance de l'image de soi dans les réseaux géo-sociaux en rapport à la spatialité de la ville, notamment dans l’appropriation et la re-signification sensibles des corps en mouvement.

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Par Eduardo Bianchi, doctorant en Communication Sociale à l'Université d'État de Rio de Janeiro. Membre du Groupe de recherche Communication, Art et Ville.

La ville, avec ses espaces de convivialité donnent lieu à des pratiques, à des expériences vécues, elle peut être perçue comme une véritable scène où se représente le social. Nous nous proposons d’étudier ces espaces de convivialité qui rendent possible le moment du vécu, « l'être ensemble »[1], les expériences partagées. Les technologies de géolocalisation sont un outil auxiliaire capable de reconfigurer la vie sociale, ils sont utilisés pour permettre différentes formes de relations sociales quotidiennes fondées sur la mobilité. Selon André Lemos, la mobilité est « aujourd'hui, virtualisé[e], avec les réseaux télématiques et les appareils mobiles et la connexion sans fil »[2]. Nous souhaitons mettre ici en évidence les appropriations sociales des technologies mobiles, des systèmes de géolocalisation présents dans les nouveaux médias en lien avec l'usage des smartphones.

La production de sens par les goûts

Nos chemins et détours sont quotidiennement dessinés et redessinés, marqués par la présence de nos corps. Les espaces urbains sont transformés par notre présence, même dans nos relations les plus éphémères, nous laissons nos empreintes. Nos corps sont ainsi construits par les paysages en même temps que nous construisons ces derniers. Chaque nouveau contact, chaque nouvelle rencontre, chaque nouvelle relation, selon des intensités différentes, nous marquent et nous changent. Un système d'échange produit ainsi une sorte de triade relationnelle entre nous, la ville et l’autre.

La ville est une zone de changement, elle est également un brouillon à partir duquel les corps se transforment, en même temps qu'ils transforment en retour l'espace. Nous traçons nos chemins et laissons nos marques. Si nous pouvons effacer nos empreintes (ou si le temps le fait pour nous), nous faisons, avec les autres, partie du processus de constitution de la ville.

Nous proposons d'étudier la mobilité urbaine qui se réalise à partir du partage de goûts communs, de la recherche du loisir, du plaisir, du mouvement, des tours et des détours tracés sur des cartes sensibles. En ce sens, ces dernières ne doivent pas être strictement comprises comme les traces dessinées dans un espace, mais bien plutôt, au-delà des trajets, comme des chemins d’affection et de désaffection, qui, à chaque étape, se développent, et qui, à chaque détour, changent et produisent quelque chose de nouveau. Les chemins particuliers sont partagés, non pas dans leur intégralité mais par fragments d’espaces vécus, d’espaces de conjonction, dans lesquels les hommes se rencontrent via la reconnaissance de leurs envies, de leurs désirs ou de leurs besoins d'être avec leurs pairs.

L'idée de cartes symboliques, pleines de subjectivité, implique que la sensibilité soit reconnue comme moteur du déplacement urbain. Comme le souligne Martín-Barbero[3], elle sert à remettre en question la domination, la production et le travail, mais d’un autre côté, elle est pleine de lacunes, de consommation et de plaisir. Les traces laissées par les individus sont alors des pistes de subjectivité qui disent ce qui peut être et non ce qui est « réellement ». En ce sens, l'expérience sociale est en construction (François Dubet)[4], elle est un processus à venir.

Le rôle du corps est le fondement de l'analyse – de même que son mouvement et sa fonction communicative – dans les réseaux géo-sociaux. Le corps représenté par les réfractions, au travers d’images sans cesse formées et déformées, sera le lien entre l'imaginaire social et les membres du réseau géo-social.

Les réseaux géo-sociaux, en particulier dans le cas précis de notre analyse (les réseaux de la communauté gay), confient au corps la responsabilité de provoquer le premier regard. Cependant, avant d'être observé comme image statique (photographique), il passe par le processus de choix et de tests. Parmi les possibilités de sa capture en tant qu'imagerie numérique, le balayage corporel (sa numérisation) aura, au moins momentanément, le devoir d'attraction c’est-à-dire d’attirer le regard des autres membres du réseau. Nous parlons du corps dans sa performance communicative, qui s'empare des langages symboliques et des différents modes et styles incorporés. Le corps cherche à attirer le regard des autres, à séduire de nombreux yeux. Par l’intermédiaire d’un jeu ludique, la corporéité séduisante essaye, à tout prix, de saisir l'autre, d’attirer son attention et veut être identifiée comme objet désirant.

Explorateur onirique, le corps communique tandis que le producteur sensible se fait générateur des images de son « propriétaire ». Le corps se présente selon les critères de la performativité et les images corporelles peuvent alors être comprises comme des « objets » qui peuvent être explorés par les désirs et les réactions d’autrui : le mépris, l'excitation, la répulsion, le désir. Les corps, représentés par des images, en tant qu'éléments de communication sont soumis aux regards des autres corps, ceux des membres du réseau.

La présentation performative du corps est caractérisée par des éléments matériels (ornements corporelles et autres objets qui aident à caractériser le paysage) et immatériels (subjectivités qui aident la projection des style de vie). Matérialité et immatérialité participent à la composition d’intentions communicationnelles et de reconnaissance sociale. Il y a dans ce jeu, l’ambition que les autres corps, celui des observateurs, sentent et désirent le corps en communication. Une polyphonie d’intentions s’élabore alors autour des corps communiquant. Par conséquent, le corps qui est mis à l'épreuve, porte l'image d'un monde symbolique.

Pour David Le Breton[5], nous avons individualisé le corps, coupé les liens à l’autre. Nous rêvons de corps privés, uniques, qui ne détermine plus l'identité mais qui serait seulement à notre service. Cependant, nous pensons que même ces corps rêvés passent par le désir de reconnaissance, car, en étant vu ou aperçu, nous faisons le souhait d’une connexion, d’une communication par attributs exposés et interposés. Les corps sont uniques, marqué chacun de multiples références mais ils se constituent en rapport aux autres corps et avec les autres corps. Le corps est toujours en cours de formation, pris dans un processus, dans des histoires et des expériences sensibles de la vie quotidienne.

Nous attribuons à nos corps nos volontés, les réflexions prismatiques de nos rêves, nos identifications multiples. Nos corps suivent le processus de réinterprétation de nous-même, nos désirs changeants, notre sensibilité esthétique et notre espace, la transformation des façons de nous mettre devant le monde. L'identité entièrement unifiée, complète, sûre et cohérente est un fantasme de la Modernité (Stuart Hall)[6]. Fantasme d’un projet moderne qui ne fait plus sens aujourd’hui, il ne peut plus être pensé comme il a été conçu. Au lieu de cela, au fur et à mesure que les systèmes de signification et de représentation culturelle se multiplient, nous sommes confrontés à une multiplicité déconcertante et variable d’identités possibles, dont chacune pourrait nous identifier, au moins temporairement.

Si dans le projet de la Modernité, l'individu a été soumis à des normes sociales, des identités fixes, aujourd'hui ces normes sont poreuses et dans leurs brèches l’homme se fait acteur à travers ses relations affectives. Selon Michel Maffesoli[7], l'individu normal, au cours de la modernité, avait une identité sexuelle, idéologique et professionnelle. Les processus d'identification, en rupture avec les piliers de l'identité de l'homme moderne – le genre, la classe, l’ethnie – peuvent être compris soit comme pathologiques, soient comme transformateurs sociaux. Aujourd'hui cependant, nous ne pouvons penser que l'homme en transition transgresse les règles, les normes et les directives. Nous nous constituons, aussi par des goûts, des désirs, des souhaits qui vont au-delà des piliers de la Modernité. Le sexe dépasse la dichotomie homme/femme, l'ethnicité seule ne détermine pas le « lieu de la parole » et nous pensons que la classe sociale est déterminée par les mobilités sociales, par la circulation sensible, et marquées par les affects.

Ce sont les multiples possibilités du sujet identifié avec d'autres sujets, au milieu des fragments culturels de la contemporanéité, qui font le « réenchantement du monde »[8]. Si le rationalisme technocratique moderne avait fait de la vie sociale un ensemble complètement aseptisé, le sensible, marque de notre temps, tend à réintroduire le ludique dans l'expérience, le plaisir de profiter de la vie, de partager des moments de fête, et l’onirique à nouveau permis est valorisé. Le ludique, comme structure anthropologique, comme structure des racines profondes et anciennes, trouve lui aussi l'aide du développement technologique. Ces sont les appropriations des techniques et donc leurs significations par les diverses utilisations qui permettent la virtualisation – être envahi pour le corps, pour le quotidien et pour les espaces de la ville Postmoderne.

Corps sensible, matérialité technologique et érotisation des relations sociales

Les Technologies de l'Information et de la Communication – TIC – constituent d'autres possibilités pour l'humanité, pour d'éventuelles nouvelles formes d'interaction. Nous percevons, dans ce contexte, dans lequel les sujets interagissent par l'intermédiaire des TICs, un homme qui construit le monde autour de lui-même, ce qui donne un nouveau sens, un sens qui commence lentement, peu à peu, qui faire, défaire et refaire par des interactions sociales.

Les technologies ne sont pas déterminantes pour les interactions sociales mais sont de nouvelles formes interactionnelles, elles permettent la puissance créatrice à travers un jeu de bricolage culturel. Les « Arts de faire »[9] selon la formule de De Certeau, n'ont pas de place fixe, mais produisent des changements constants par l'interpénétration, la culture du bricolage, et des manières de faire en fonction de ce qui est disponible. En ce sens, selon Le Breton[10], la frontière disparaît entre le sujet et l'objet, l’humain et la machine, le vivant et l'inerte, le naturel et l’artificiel, le biologique et le prothétique. Nous comprenons donc l'homme dans sa métamorphose, le changement de son corps et l'incorporation croissante de la technologie. Le support de la matérialité technologique passe par le processus de l'assemblage et s’intègre au corps. Ces usages, les pratiques qui le transforme en continu au sein de la vie quotidienne, favorise la fibrose, le corps « étranger » qui n’est plus naturel mais incorporé. Pour Le Breton[11], Les TICs sont mélangées au corps et ces technologies redéfinissent la condition humaine, en nourrissant la liquéfaction de l'individu postmoderne. Selon Lucia Santaella, « Il n'y a pas d'opposition épistémologique plus fausse que celle qui oppose le virtuel au réel ou le virtuel au physique, comme si les représentations virtuelles n’étaient pas aussi physiques et réelles. La différence n’est pas d’être réel ou non-réel, mais les types de réalité et de physique qui sont distincts dans ces cas »[12].

Les relations sociales, par la médiation d’outils/gadgets – dans le cas de la recherche ici présentée, des smartphones – contribuent aux changements des relations des usagers avec la spatialité de la ville. Être avec un smartphone dans la main, médium prothétique, change le sujet contemporain. Utiliser des ressources de l'interaction géo-sociale, de l'expertise technique et la connaissance des codes sociaux, peut « potentiellement » redéfinir les formes d'occupation et d'appropriation des espaces urbains. Nous avons remarqué une transformation des interactions entre les hommes et leur corps ainsi qu’avec la spatialité des villes. Les paysages urbains sont quotidiennement étirés par des expériences sensibles, par des pratiques de sexualisation et d’érotisation des relations sociales qui sont médiatisées par les moyens de communication.

Les paysages, selon Carl O. Sauer[13], sont des formations qui incluent les structures physiques naturelles et les changements orientés par des manifestations culturelles. Nous pouvons donc comprendre le paysage comme un mouvement, transformé par les usages et les re-significations, par les appropriations que nous en faisons. Nos mouvements, nos chemins à travers la ville, les relations sociales que nous avons établies au fil des jours, des années, tout au long de notre vie, transforment les paysages urbains.

Les mouvements auxquels nous référons doivent être compris comme des actions performatives d’allers-retours quotidiens. La performance quant à elle est comme une compétence communicative qui repose sur la capacité de lire, de décoder et de comprendre tous les éléments communicationnels dans les systèmes complexes de communication au sein des réseaux géo-sociaux. Les performances sont en ce sens l’esthétisation de l’expérience ajoutée aux pratiques locales. Nous référons ici à ce que Maffesoli[14] appelle « l’éthique de l’esthétique », c’est-à-dire le lien social, ce qui motive les hommes à se regrouper, à s’unir dans des espaces de vie, une sorte de « socialité de base ». L'image montre, en tant qu’elle est le premier maillon, la reconnaissance du « je » au « nous ». Elle génère des liens, se fait le vecteur esthétique de sentiments, d’émotions, de passions communes, d’un ethos commun. Dans ses subjectivités fragmentées, l’image permet la présentation du sujet, dit quelque chose sur ses pratiques, ses préférences, ses relations sensibles avec le monde et permet à l’« invisible » de se placer dans le monde, de se rendre visible. Les pratiques sociales et leurs représentations imaginaires, les causes et les effets des relations sociales présentes sur les réseaux géo-sociaux deviennent ainsi visibles à tous les utilisateurs.

Ces corps performatifs, médias de la vie quotidienne, se déplacent à travers la ville, armés d'artefacts techniques, recherchant le plaisir, s’appropriant l'expérience virtuelle et ses nouvelles formes de socialité, donnent un nouveau sens à leur propre perception du réel.

Nous comprenons ces systèmes de communication (médias locatifs) comme les systèmes de communication intermédiaires entre les hommes et leurs relations. La médiation, selon Martin-Barbero, est la « relation avec les dimensions symboliques de la construction du collectif »[15]. L'auteur met en évidence l'importance des moyens techniques dans le contexte culturel contemporain ainsi que la place centrale du protagoniste de la communication.

Ces moments orgasmiques sont des sortes de « savoir-faire » orientées vers le plaisir et mobilisées pour des moments de satisfaction. « Le loisir est une création humaine dans un dialogue constant avec les autres sphères de la vie. Il participe d’une trame complexe historique et sociale qui caractérise la vie en société, et est l'un des fils tissés dans le réseau humain des sens, des symboles et des significations »[16]. Selon les auteurs : « Le loisir n’est pas un phénomène isolé : il se manifeste dans différents contextes d'après les sens et significations dialectiquement produits/reproduits par les gens dans ses relations avec le monde »[17]. Nous percevons le loisir comme un moment de plaisir, et la réalisation du désir comme la manifestation d’une puissance festive : la puissance ludique et extasié du choix. L'utilisation d'applications, les réseaux sociaux (et géo-sociaux) sont aussi des moments de loisirs, principalement guidés par la recherche constante d’un plaisir orgasmique.

Expériences online et offline

Les réseaux sociaux sur internet fonctionnent comme un autre système possible d'intégration sociale. La communication interactive dans laquelle nous investissons de plus en plus de notre temps, considérée comme virtualisée, a envahi les rues des villes à travers l’expérience des hommes et de leurs médias locatifs. Ces médias « font référence à un ensemble de technologies qui constituent un système ouvert et dynamique avec toutes les caractéristiques des systèmes complexes… »[18], l’expérience du cyberespace se matérialise selon différentes manières d'agir et de consommer la spatialité urbaine. L'espace virtuel est aussi l'espace de la rue. Les socialités qui façonnent les nouveaux modes de production de sens et de significations aboutissent en une homogamie créatrice de nouvelles relations humaines avec le monde. Nous ne parlons pas d'une réalité virtuelle, nous pensons plutôt à un réel dans le virtuel et vice versa, de la concomitance de ces systèmes, d’une production intégrative – « virtuel réel ».

L'homme connecté à différents réseaux redéfinit le réel pour sa propre expérience existentielle. Nos moments de plaisir, où le ludique et l'enchantement virtuel font partie de l'imaginaire social, redéfinissent la configuration de la réalité, ou du moins, renégocient constamment les expériences vécues, online et offline. Par conséquent, nous nous interrogeons sur ce qui constitue la réalité, parce qu’elle est, dans de nombreux cas, la substance qui constitue l’onirique. Les réseaux sociaux représentent la réémergence de nouvelles relations entre la spatialité et la vie contemporaine.

La virtualisation des acteurs dans le réseau social permet de faire des expériences corporelles dans le système « virtuel-réel ». Le corps permet la mobilité de la technologie et la technologie propage les images du corps, littéralement pas-à-pas. Sans le corps, la technologie mobile devient inefficace. Le corps en est le moteur. La technique amplifie l'image corporelle et ses styles, les manières d’être et les désirs.

Le corps qui se déplace dans la ville, qui se promène dans les rues et les ruelles, qui monte et descend les escaliers, qui entre et sort des lieux publics ou privés, qui connaît les ambiances liées au plaisir, redessine sa propre ville imaginaire. Les promenades présentent des chemins variables qui sont alors comme un processus constant de transformation et de métamorphose continue. Se profile alors une cartographie sensible de la ville, où les cartes sont dessinées et redessinées par les identifications, les affects et les relations sociales établies le long des chemins.

Ce moment de la connexion établit un lien entre les hommes, mais aussi entre eux et les espaces de la ville. Un jeu ludique de séduction et de performance où l’image se doit d’attirer le désir et l'excitation des autres.

Il suffit de choisir

Avec plus de 2 millions d'utilisateurs actifs quotidiens et présente dans 196 pays, l'application Grindr pour smartphone est un phénomène marquant dans la communauté gay. En 2009, quand ce réseau géo-social a été créé, il visait directement les homosexuels en général, sans restriction pour le public hétérosexuel, après tout, les curieux sont bienvenus. En 2013, les développeurs de Grindr ont réalisé la nécessité d'une relecture de son public, toujours orienté vers la communauté gay, ils ont toutefois compris la fragmentation culturelle et les différents modes de vie de cette grande communauté. Autrement dit, ils ont compris l’existence des différentes tribus à travers les différents intérêts et style de vie de la communauté visée[19]. La mission[20] de Grindr est de réduire la distance entre les utilisateurs, une mission facilitée par le nombre croissant de ses membres. De même, l'application se popularise davantage avec la croissance des ventes de smartphones. Le réseau social fournit, à travers une interface graphique simple, une disposition de profils de ses membres, du plus proche au plus éloigné (de gauche à droite et de haut en bas la distance augmente).

Une fois l'un des utilisateurs choisi, en cliquant sur l'image, une seconde interface apparaît. Les informations du profil sélectionné sont alors organisées autour de la possibilité d’une communication directe avec l'autre : la distance qui les sépare, l’âge, l’intérêt sexuel, entre autres, sont les informations directement disponibles aidant au choix de l'utilisateur. Si vous êtes intéressé, il suffit de commencer une conversation en cliquant sur l'icône représentée par une bulle de conversation, typique de la bande dessinée, dans la zone centrale de l'interface graphique.

 

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Dans l'image ci-dessus, dans la barre jaune nous retrouvons :

  • Une icône caméra : espace réservé aux images des membres,
  • Deux bulles croisés : permettent le retour à l'historique des conversations,
  • Trois points verticaux : où défilent certaines fonctionnalités disponibles dans l'interface utilisateur : l’envoi d’images, l’envoi de la localisation, possibilité de voir les images envoyées par l’appelant, l’enregistrement des phrases (réservé aux membres payants), l’éditeur de texte (également réservé aux membres payants).

Dans la place réservée pour les conversations, les utilisateurs profitent d’une fluidité d'imagination et d’une spontanéité créative. Les discussions sont disponibles selon différents ordres, et les intérêts modélisent et re-modélisent les comportements. Dans ce jeu qui consiste à séduire et être séduit, certaines précautions sont prises : le choix du vocabulaire, les modes d'approche, et les images envoyées au cours de la conversation constituent des actions qui déterminent le déroulement des premiers moments de la rencontre. L’image profil et les descriptions peuvent aider à identifier l'appelant mais ne constitue pas une règle en soi dans la mesure où beaucoup de membres du Grindr utilisent des images et se décrivent eux-mêmes avec des « restrictions » et des « objectifs ». Toutefois, au cours de la conversation des changements de comportements peuvent se produire, les intérêts peuvent changer, et les « objectifs » peuvent devenir plus libres et fluides. Ce qui paraissait impensable peut être négocié. La négociation dépendra de la forme et du contenu de la communication. Cela fait partie du jeu de la séduction.

Actif, passif, versatile (préférences dans les pratiques sexuelles) ? Plan ou pas de plan ? Relation stable ou simplement amusante ? Tout dépend du moment et de l'appelant. Cela dépend de la malice, de la persuasion, d’une rhétorique qui affecte l'autre, du choix lexical, ou encore de l'image.

Pour ceux qui sont les moins réservés, tout est possible, tout peut être mis en évidence, chaque partie du corps, chaque « centimètre » de l’être. Toutes les images sont des avatars de l'individu et cherchent l'attention pour l'identification de l'autre.https://www.numerev.com/img/ck_44_9_image-20200318145040-3.png

Dans les technologies de géolocalisation le déplacement a un sens particulier, même si cela peut semblait être un pléonasme. Dans les réseaux géo-sociaux, les chemins sont de plus en plus complexes, dynamiques et pluriels. C'est-à-dire que plus l'utilisateur se déplace à travers la ville et ses espaces distincts, plus il sera attiré par une plus grande variété de types et de styles, plus il pourra, empiriquement, connaître la ville par l'expérience sensible. Donc, muni d’une technique et d’une expérience heuristique de la spatialité urbaine et de ses codes de communication, les sujets redessinent leurs cartographies, réécrivent leurs relations et affects avec et pour la ville.

Le virtuel est efficace pour l'onanisme. L’usager, tactile, peut être seul, mais il peut aussi être à deux ou en groupe. Il peut être chez lui, mais il peut se trouver dans des lieux publics. Il n’y a pas ici d'apologie du sexe contrevenant à la pudeur mais plutôt une ville qui se transforme potentiellement, virtuellement, en un immense lit. Squares, parcs, toilettes publiques, escaliers d’immeubles commerciaux sont autant de lieux de rencontre. Quoi de nouveau dans ces expériences ? La nouveauté ne se situe pas dans le contenu mais dans la forme, c’est-à-dire la façon dont l’individu se déplace à ces endroits. Si cela se faisait jadis au hasard d’une rencontre furtive, avec le réseau géo-social installé sur son smartphone, les chances sont dorénavant augmentées et dirigées principalement en fonction des goûts de l'utilisateur qui territorialise les espaces urbains pour identifier le plaisir de l'autre.

Il y a une valeur ludique dans l'action de toucher l'écran avec les doigts et d’être dans l'expectative de surprendre les images du corps de l’autre. Les corps qui attendent d'être choisis par les désirs d'autrui. Les corps qui reconfigurent la ville, re-modélisent les paysages urbains et les relations aux espaces. Ce sont des corps communiquant des modes de vie et des goûts ; des corps consommateurs de la matérialité et des griffes – telle que Calvin Klein, mais qui cherchent l'immatérialité d’un style pour communiquer. Des corps mouillés, pleins de sueur, poilus ou épilés, des corps entiers ou fragmentés – sans jambes, ni bras, des pectoraux, des fesses et des sexes (les deux derniers couverts dans les profils mais découverts dans les conversations). Nus frontaux et postérieurs sont interdits par les règles conçues par les développeurs mais comme cela a déjà été mentionné, il y existe des « tactiques » pour ces « stratégies »[21]. Les corps montrent leur volonté, leur volonté de plaisir. Les corps excités, en érection, prêts à être touchés sur les deux côtés de l'écran. Nombreux et différents sont ces corps, il suffit de choisir.

Bibliographie

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[1] MAFFESOLI M., Homo eroticus : Des communions émotionelles, Paris, CNRS Éditions, 2012.

[2] LEMOS A., « Cultura da mobilidade », in BEIGUELMAN G., LA FERLA J. (dir.), Nomadismo tecnológico, São Paulo, Editora Senac São Paulo, 2011, p 19.

[3] MARTÍN-BARBERO J., Dos meios as mediações: comunicação, cultura e hegemonia, Rio de Janeiro, Editora UFRJ, 2003.

[4] DUBET F., Sociologie de l'expérience, Paris, Éditions Du Seuil, 2016.

[5] LE BRETON D., « Individualização do corpo e tecnologias contemporâneas », in COUTO E. S., GOELLNER S. V. (dir)., O Triunfo do Corpo: polêmicas contemporâneas, Petrópolis, RJ, Vozes, 2012.

[6] HALL S., Identidade cultural na pós-modernidade, Rio de Janeiro, DP&A, 2006.

[7] MAFFESOLI M., Le temps revient : Formes élémentaires de la postmodernité, Paris, Desclée de Brouwer, 2010.

[8] Idem.

[9] DE CERTEAU M., L'Invention du quotidien. Tome 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990.

[10] LE BRETON D., « Individualização do corpo e tecnologias contemporâneas », op. cit.

[11] Idem.

[12] SANTAELLA L., « As ambivalências das mídias móveis e locativas », in BEIGUELMAN G., LA FERLA J. (dir.)., Nomadismo tecnológico, op. cit., p. 126. [Traduction libre de l'auteur].

[13] SAUER C. O., « A morfologia da paisagem », in CORRÊA R. L., ROSENDHAL Z. (dir.)., Geografia Cultural : Uma antologia, Rio de Janeiro, EdUERJ, 2013.

[14] MAFFESOLI M., Homo eroticus : Des communions émotionelles, Paris, CNRS Éditions, 2012.

[15] MARTÍN-BARBERO J., Dos meios as mediações: comunicação, cultura e hegemonia. Rio de Janeiro, Editora UFRJ, 2003, p. 153. [Traduction libre de l'auteur].

[16] GOMES C., PINTO L., « O lazer no Brasil: analisando práticas culturais cotidianas, acadêmicas e políticas », in GOMES C., OSORIO E., PINTO L., ELIZALDE R. (Dir.)., Lazer na América Latina: Tiempo livre, ócio y recreación en Latinoamérica. Belo Horzonte, Editora UFMG, 2009, p. 99. [Traduction libre de l'auteur].

[17] Ibidem., p. 100.

[18] SANTAELLA L., « As ambivalências das mídias móveis e locativas », in BEIGUELMAN G., LA FERLA J. (dir.). Nomadismo tecnológico, op. cit., p. 134.

[19] Information : Grindr « Press Kit » disponible sur  http://www.grindr.com/press.

[20] « Mission » est le terme utilisé dans ce Press Kit.

[21] DE CERTEAU M., L'Invention du quotidien, op. cit.

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Recension/ The struggle over borders, cosmopolitanism and communitarianism de Pieter de Wilde, Ruud Koopmans, Wolfgang Merkel, Olivier Strijbis et Michael Zürn

Matthijs Gardenier

Recension de l'ouvrage : De Wilde Pieter, Koopmans Ruud, Merkel Wolfgang, Strijbis Oliver, Zürn Michael, The Struggle Over Borders : Cosmopolitanism and Communitarianism, Cambridge,  Cambridge University Press, 2019, 276 p.

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